Notre siècle se préoccupe
enfin des dégâts faits par
l'homme sur ce qu'il appelle
l'environnement.
Ceci fait consensus,
parce que l'homme en pâtit lui-même.
On ne peut évidemment
pas vivre dans un écosystème
pollué sans en avoir un minimum
de dégâts sur sa santé.
Quant à moi, je vous propose
d'étudier quelque chose
dont nous pâtissons également
et qui est même à l'origine
de cette pollution mais qui,
habituellement passe à la trappe.
Je l'appelerai la pollution psychique.
Et elle est ainsi plus redoutable
encore que la susdite.
Tout d'abord, on a tendance
à envisager chaque évènement
comme indépendant des autres.
Ce qui nous amène à prendre
la partie pour le tout.
Ce qui se passe sur Terre est divers,
certes, mais a-t-on raison
de considérer les faits
comme isolés les uns des autres?
Ne faudrait-il pas voir le monde
aussi comme un puzzle
qui ne prendrait sens
que si on acceptait de
ne plus considérer
comme un tout fini chaque pièce?
Il est certain que sans
les assembler, on ne comprend rien
du tout et que des mots tels que
"impensable", "inimaginable",
"incompréhensible",
avec lesquels nous accueillons
les choses qui ébranlent
nos certitudes s'imposent.
Car en effet, que dire
d'une pièce isolée de puzzle?
C'est en cherchant à recoller
les pièces que nous pourrions
prendre conscience qu'il y a
une cohérence entre tout ça et
une origine commune à nombre
de nos échecs. L'espèce humaine
devrait, avant de dire trop vite:
"ce que tel homme a fait n'est
pas humain"… se poser la question:
et si ce qui me paraît une exception
était en fait la règle?
"L'exception fait la règle", disait Lacan.
Simplement tous les hommes
ne font pas tous tout.
Mais si un homme le fait,
c'est que cette potentialité
existe en chacun.
Alors, pourquoi cette potentialité?
Y a-t-il une nature humaine?
Là, Sartre et Lacan se rejoignent
pour assurer que non.
Lacan l'a dit clairement:" Il n'y a pas de nature humaine."
Et Sartre:"L'homme n'a pas d'essence."
Ce qui est la formule de l'existentialisme.
Ou encore:"l'existence précède l'essence"
signifie que c'est l'existence
qui fait l'essence.
La structure de l'homme est donc
un effet de ce que l'homme fait.
"C'est en forgeant qu'on devient forgeron",
dit un proverbe. Et pour être devenu
ce dont l'homme souffre, et qui,
selon moi est sa structure mentale,
au sens où "La structure, c'est le symptôme."( Lacan), il a fallu qu'il fasse quoi, l'homme?
Je parle ici de l'espèce humaine,
mais aussi de chaque homme fait.
Mais, me direz-vous, de quoi
est-ce qu'il souffre, cet homme ?
Tout est là. Il va falloir se mettre
d'accord sur ce qu'est le
symptôme de l'humanité,
ce qui la fait souffrir, sa maladie,
ce dont elle n'arrive pas à se débarrasser,
qui revient alors qu'on le croyait disparu
et qui semble lui coller à la peau.
Pour un analyste, le symptôme,
c'est aussi par là que ça jouit.
Et cette jouissance a pour conséquence
d'être nécessaire à l'être
qui en est affligé,
comme l'alcool est un besoin
pour un alcoolique.
Mais on dit bien "alcoolique",
ce qui montre bien que c'est le symptôme
qui définit un homme.
Lorsque vous saurez ce qui est selon moi
le symptôme de l'humanité,
vous allez sans doute être étonné
d'apprendre que sa dépendance
à un type de jouissance aussi
destructrice, voire plus,
que l'alcoolisme est
son addiction à la…barbarie.
Et je rajouterai même ceci:
l'alcoolisme est une des figures
de cette barbarie de base.
Toute l'histoire de l'homme tend
à le démontrer.
Les écoliers qui fréquentent
les livres d'histoire le savent bien :
la majeure partie de cette histoire
est consacrée aux guerres.
Or, de même qu'un alcoolique
tend à le devenir de plus en plus…
hélas! un barbare voit sa férocité
s'accroître au cours du temps.
C'est ainsi que les guerres
sont de plus en plus meurtrières.
Voir ce qui s'est passé dans
la dernière guerre mondiale,
avec des dizaines de millions
de morts et surtout avec le nazisme
qui, jusque là, est encore ce qui
se fait de pire dans le genre barbarie
entre humains.
Aller prendre des individus
de l'espèce dite humaine,
chez eux, au prétexte
que le hasard de leur naissance
les avaient fait naître
d'une religion particulière,
dans le but de tous les exterminer
jusqu'au dernier,
toutes générations confondues,
et les transporter jusqu'à des usines
de mort, jamais encore
cela n'avait eu lieu.
A présent, les transports
ont l'air d'inspirer les nouveaux barbares :
le hasard fatal n'est plus simplement
celui de la naissance, mais celui
d'être là, au mauvais moment.
Les terroristes ont beau être islamistes,
ils tuent au "petit bonheur la chance",
y compris des musulmans. et ce,
ont-ils dit parce que Dieu reconnaîtra
les siens et qu'ainsi, les musulmans
auront une bonne place en tant que
martyrs.
La pulsion de mort, à chaque fois,
se trouve des alibis qui laissent dormir en paix la conscience des barbares. Et, tenez-vous bien, chacun se croit investi de la noble mission d'un magnifique service à rendre à l'humanité toute entière. Et rien ne permet mieux le déguisement d'un barbare à ses propres yeux que l'humanisme.
D'où vient donc cette transmutation
de l'humanisme en barbarie?
Est-ce un simple rapprochement
sans conséquence? Et si nous avions là,
au contraire, la clé de voûte
de la barbarie?
Si l'humanisme est la préférence
pour l'homme,
si cette option considère
l'homme comme prioritaire
en tout et sur tous les non-hommes,
il faut que le non-hommes soient
déconsidérés, réifiés, "desubjectivés",
afin que nul ne puisse faire échouer par de la compassion pour ceux-ci
le projet de l'humanisme,
qui est un projet narcissique
et mégalomaniaque, donc paranoïaque.
Celui d'être le seul vivant sur Terre,
le seul dont on doive prendre soin.
Celui à qui nous devons vouer
toutes nos actions.
Celui pour la cause de qui
les autres sont soit des outils
soit des ennemis à abattre
en tant que rivaux.
Nous voyons peu à peu
se dessiner une philosophie
particulièrement dangereuse
quand on sait qu'elle est
l'option dont les hommes
dans leur écrasante majorité
ont fait leur principal art de vivre.
Bien-sûr que l'homme
peut ne pas avoir la même définition
selon les pays et selon les idéologies
locales et historiques.
Mais ce qui est constant,
c'est qu'il y a priorité
à ce qu'on appelle "homme" hic et nunc.
Et grand danger à ce qui ne porte pas
ce vocable. Pourquoi danger?
Tout simplement parce que
le barbare s'interdit d'être barbare
avec des "hommes",
pas avec ceux de ces humains qu'il appellera
d'un nom d'oiseau, tel que rat, chien ou singe.
C'est là que je crois qu'on peut stygmatiser
une sorte de pollution inconsciente
mais efficace, destructrice,
la pollution psychique…
dans l'attitude des hommes
avec les "hors-humains."
Il est clair que d'avoir mis une hiérarchie
entre
les êtres, d'avoir assuré
que tout ce qui n'est pas
homme ne méritait pas
autant de respect que les hommes,
a mené à un pas de respect du tout,
celui qui s'observe à plein temps
là où les (autres) animaux
sont utilisés par nous.
Le peu de lois obtenues
avec ô combien d'opiniâtreté
en faveur des (autres) animaux
sont de toutes les manières flouées
et ce, depuis même leurs conceptions
où les dérogations ne manquent pas,
comme l'alinéa 3 de la loi de 1976
qui interdit la cruauté envers
les (autres) animaux sauf
quand cette cruauté
est une tradition locale.
Une loi qui s'adapte aux traditions,
c'est assez insensé, non? c'est la définition
même de la perversion.
C'est en se conduisant
sans le même respect
avec les (autres) animaux
qu'avec les hommes que
l'addiction à la barbarie a commencé,
nous menant aux impasses morales
que l'on sait.
La clé de voûte de la guérison
réside quant à elle dans l'interiorisation
de la boussole morale que
je vous propose: celle qui montre
le bien, qui est le même envers
tout autre en dépit de toutes
les différences de races,
de sexes, d'espèces etc.
En d'autres termes,
la pollution psychique existe à côté
de la physico-chimique, et à notre insu.
Elle est de ce fait particulièrement efficace,
d'autant plus que cet ennemi
est invisible à tous les hommes.
D'autant plus insidieuse,
qu' elle est impensée par ceux
qui ne la suppose même pas tant
l'idéologie dominante les aveugle
et les hypnotise.
Il s'agit ici de ce dont Freud
parle, après Lebon sous le sigle
de "Psychologie des foules".
On n'en sortira pas sans
un sacrifice de notre narcissisme,
dont le nom en termes d'espèce
est l'humanisme, ou anthropocentisme.
Car la conséquence de la barbarie
contre les non- hommes
que permet ce narcissisme
est la même que le serait
sur l'alcoolique la conviction délirante que,
s'il boit dans telle pièce qu'il aura
désignée, là, il ne boirait pas.
( ce serait "comme si" il ne buvait pas,
ce qui est la phraséologie
propre au pervers.)