Freud, affligé des cruautés de la guerre 14-18 dans un monde jusque là cru civilisé, était devenu très pessimiste sur l'humanité et avait exprimé ses doutes sur ses capacités de progrès dans son édifiant Malaise dans la culture.
On aurait aimé que les psychanalystes, eux au moins, ne se fourvoient pas dans la barbarie.
Or il n'en est rien comme le montrent certains psy aficionados, entre autres multiples illustrations de l'impasse humaine.
A propos du texte de conférence de Roland Chemama
http://clubtaurindeparis.files.wordpress.com/2013/03/henri-ey-_-r-chemama.pdf)
Que l'on me pardonne mon ton. Je ne suis pas de bonne compagnie quand je sais des êtres suppliciés.je ne suis pas indulgente quand des alter egos, des gens qui sont des "comme moi", ne peuvent un instant se dire qu'il faut épargner les plus faibles et ne pas jouir sur leur dos, au sens propre en ce qui concerne les corridas. Enfin, j'ai pour ma part envie de sauver, d' épargner, d'aider. Je fais l'éloge de la bonté et ce n'est pas très à la mode, non?
Je me dis que nous avons un court séjour à passer sur cette planète, et qu'au lieu d'aggraver son état, il faut faire son possible, et plus encore, pour l'améliorer. Comment font donc ceux qui ne sont là que dans un projet hédoniste? J'ai du mal à comprendre l'humain, mais la psychanalyse me donne les outils pour l' expliquer. Ce que je veux dire, c'est que je ne peux m'identifier à la position qui dit: "La cruauté me fait du bien, alors, si j'en ai l'occasion, je suis cruel avec ceux qui sont à ma merci." Ou encore comme ceux qui donnent à la grande foire à la vivisection du Téléthon: "Mon bien, c'est Le Bien." Et je ne me vois pas non plus du côté de ceux qui regardent et se résignent au pire, lui laissant tout pouvoir.
Roland Chemama, psychanalyste lacanien, a pris la peine d’un texte de 18 pages pour tenter de légitimer une activité cruelle dont il est adepte, la corrida. Rappelons que ce dont il s’agit est autorisé par une trahison, la transgression de la loi par elle-même. En effet, l’alinéa 7 de la 521-1 du code pénal consent à ce qu’elle exclut et sanctionne durement, à savoir des sévices graves envers des animaux. Ce passe-droit scandaleux couvre certaines régions françaises sous le prétexte ahurissant de la tradition. Comme si le mal devait trouver justification dans sa pratique ininterrompue, privant ainsi l'homme de toute possibilité de progrès moral.
A l’orée de ce texte de Chemama , on peut se demander comment, par quels subterfuges, par quelles défenses psychiques, donc par quelles rationalisations, par quel déni, par quelle dénégation, par quelle isolation, enfin, comment fait un psy lacanien pour trahir la pensée de son maitre, qui, justement, dans le séminaire L’éthique, a bien dit que la jouissance, c'est le mal.
Mais je ne me lancerai pas dans l' analyse de son alibido blabla. Sachez juste que je le ferai peut être une autre fois, craignant la perte de temps, et qu'il m'a semblé plus urgent de parler de manière générale de ce qui répond à sa question liminaire: "Comment un psy peut parler de corrida?" Et ainsi, je vous laisse tout seuls voir comment un psy fait pour se revendiquer à la fois de la théorie et de son addiction à la corrida, comment il triture l'histoire et les mots pour en finir avec son conflit moi- surmoi quand il satisfait son ça, comme le dirait Freud.
Le problème est pourtant important: comment fait-il pour se cacher sa propre réalité dont le seul mot qui vient à quiconque d’à peu près normal voyant une seule image, une de ces simples photos irregardables de corrida, à savoir "l’abjection" ? Car bien entendu, aucun aficionado ne veut reconnaître son abjection. Il ne se dira pas : je suis un monstre et je revendique ma monstruosité pour abuser des faibles livrés à mon bon plaisir.
Sade est plus honnête, dans ce sens, puisqu’il sait qu’il défend le mal. Sade rationalise aussi, mais afin de montrer que choisir le Dieu Mal, c'est plus plaisant. Il ne dit pas que les victimes sont heureuses, bien au contraire. Alors que comme le montre "Kant avec Sade" de Lacan un incroyable paradoxe fait que le pervers fantasme combler sa victime. Or que disent les aficionados? "Le" toro ne souffre pas, il préfère cette mort, il est honoré, respecté, etc.
Je m'intéresse à 2 moments de la conférence de Chemama.
1) Lorsqu'il dit sur le mode de la dénégation qu'il ne parlera pas de pulsion de mort...Il a peur de ce qu'on pourrait en faire. Rions car de quoi parle un aficionado, comme tout psychopathe violent, sinon de sa passivité dans les mains de ce à quoi il (se) sacrifie, sa pulsion de mort?
2) sa conclusion qui fait point de capiton: Chemama, en fin de texte montre combien il s’ennuie donc combien il a peu de ressources imaginaires, revendiquant le droit de sortir de la monotonie, supposée tant qu’à faire à tous, l'homme moderne en général— faut continuer à noyer son poisson— par recours au piment de la chose forte que serait la corrida : " Plus fondamentalement la corrida n’est-elle pas un des derniers domaines où l’homme moderne, tellement porté à rationaliser et à hygiéniser son plaisir s’autorise à aller vers la tension la plus forte, s’autorise une jouissance qui le fait un peu sortir de la monotonie où il est immergé. "
Lorsque l'homme ne bande plus, lorsque rien ne lui semble désirable , alors il peut avoir recours à des stimuli plus hards. Et la chose se pimente évidemment d’être transgressive. Comme l’a remarqué Bataille, la jouissance nait de la transgression. Mais rappelons que le fantasme est fait pour ça, à savoir jouir du mal mais sans le commettre. Or Bataille fut également un aficionado, et chez lui, c'est de passage à l’acte pervers qu’il s’agit donc et non pas de simple imaginarisation de la chose.
Le symptôme qui handicape le sujet, c'est de la jouissance, le nazisme, c'est de la jouissance, le viol, c’en est aussi…etc. Si donc ce qui fait jouir, y compris sans plaisir conscient comme souvent dans le symptôme, c'est ce qui est refoulé et fait retour dans la barbarie, on comprend ce que dit Lacan, que la jouissance, c'est le mal.
Lacan dit que le psychanalyste ne doit pas céder sur son désir (d’être analyste), c’est-à-dire ne pas céder à son désir (d’inceste) car ce serait jouir, donc trahir sa fonction de psychanalyste. Sinon, le psy coucherait avec ses patients, le père avec sa fille et le tout avec la bénédiction de la psychanalyse. Alors que chacun sait que c'est tout le contraire.
Le psychanalyste est voué au père. Il "opère" au nom du père contre le pire. sa fonction se confond avec la fonction paternelle. Par la loi interdictrice du père qui permet de castrer les pulsions pour les rendre opérantes mais non opprimantes, le psy permet au sujet d'advenir. "Là où était le Ça, je dois advenir". Freud.
Ça signifie que là où était la pulsion, donc le Ça, en place de maitre, le sujet doit aller aux commandes et ne plus se laisser mener par le bout du ... phallus.
Phallus=pénis réel+ volonté de puissance, pulsion d'emprise sur l'autre pour se sentir exister, pour bander.
Toute la difficulté de l’homme tient à son désir, désir que Castoriadis qualifiait de monstrueux et qui est d’inceste. La fonction de l’analyste ? C’est de rendre moral ce qui est désirable. Par le tour de passe-passe du fantasme du névrosé et de la sublimation, la loi du nom du père au service de quoi se place l’analyste, s’oppose au pire de la finalité de la pulsion qui est de détruire. La pulsion est liée à la demande d’amour : "donne-moi tout" est pris comme preuve d’amour. « Nous ne pouvons vouloir que le bien » dit Sartre, un aficionado aussi. C'est bien là que se dévoile la distance entre désir et vouloir, entre savoir sur soi et ignorance. « Et si je t’aime, prends garde à toi », dit Carmen, aimée d’un torero. Le désir est d’être aimé par celui qu’on aime jusqu’à sa destruction : « L’amour, c'est miam-miam » Lacan. La pulsion ne se satisfait que nouée à la demande d'amour. Ce que je prends sur l'Autre, la mère, l'Autre doit me le donner par amour. Au passage, ça explique l'anorexie du nourrisson.
C'est donc là aussi que naît le fantasme pervers.
"Mon bien, c'est le bien", même si ça fait mal aux autres ? Le mal est il subjectif ou bien au contraire est une valeur absolue ? La psychanalyse répond que c'est absolu, que ça se transmet et que le mal, c’est l’inceste, donc la satisfaction pulsionnelle destructrice d’avant la loi. Celle qui interdit ce qui détruit le sujet et en fait un objet d’addiction à la jouissance (jouissance qui peut se manifester par de la souffrance consciente).
La métaphore paternelle est portée en général par la mère qui parle au nom de son désir du père pour exprimer son désir ailleurs que pour l'enfant. L’interdiction de l’inceste sait refouler son désir d'inceste et rendre inoffensif ce qui est désiré qui serait mortel pour le sujet s’il était réalisé et doit resté manque. Le sujet souffrant de ce qui l'amène voir un analyste est prisonnier de son symptôme qui représente peu ou prou sa jouissance incestueuse. La fonction paternelle dit non à la transgression qu’est l’inceste. Si comme nous le montre ce me semble l'analyse, la seule loi qui compte, c'est celle de l'oedipe, toute transgression est incestueuse, toute barbarie est de l’inceste et donc, la jouissance est incompatible avec la fonction analytique. Faut-il le rappeler à ces transgresseurs analystes ? Ils m’opposeront que durant une corrida, ils ne sont pas analystes, qu'ils ont une vie privée, que leur jouissance ne me regarde pas.

Peut-on être psychanalyste et ne pas avoir de compassion ? Peut-on être psychanalyste sans savoir que l’autre est un en-soi, et pas un être fait pour celui qui y prélèverait sa jouissance ? Peut-on faire ce que vise l’analyse, à savoir produire d’un barbare envers lui et/ou envers les autres par le symptôme un être civilisé, alors qu'on ne l'est pas soi-même? Peut on transmettre le sens moral nécessaire à la guérison tout en se donnant de la jouissance dans la transgression réelle et non simplement imaginaire, sachant que le bien est du côté de la privation réelle de ce qui est désiré ? Peut-on avoir une fonction d’analyste et avoir si peu de lucidité sur soi ?
Dolto disait dans son séminaire à l’Ecole Freudienne qu'on ne pouvait transmettre la castration si on n’était pas castré soi-même. En un mot, peut-on être analyste et baiser sa mère ? Je ne le crois pas. Il n’y a pas chez les analystes de scission vie privée/vie professionnelle. La vie privée est aussi la professionnelle. De même l’analyse didactique, chez les lacaniens, c'est l’analyse personnelle.
Celui qui parie du père au pire, c'est bien l’analyste. Celui qui parie du pire au père, c'est le pervers. Quand Lacan dit : « l'homme est un pervers sexuel », c'est une façon de dire que le refoulement échoue et que les pulsions sexuelles que la sublimation est supposée rendre inoffensives peuvent se « dé-castrer » et devenir armes létales de toute puissance. Cette arme de la pulsion non castrée, non sublimée, arme pimentant leur existence présentée comme terne par Chemama, qu’utilisent les aficionados du fait que la loi perverse les y autorise n'est en rien une arme compatible avec la psychanalyse comme me l’avait affirmé ma chère Anne Lise Stern, psychanalyste lacanienne récemment disparue, qui, de la jouissance perverse des hommes avait souffert, puisqu’elle fut prisonnière du camp du pire, celui d’Auschwitz.
Fut une époque beaucoup plus autiste avec les animaux où les gens riches, les intellos, allaient s’encanailler dans des arènes où ils se mêlaient à la sueur et au sperme du peuple plus primaire selon leur fantasme, en délire devant l’horreur tauromachique. Mais à notre époque où le sujet animal est , enfin, pris en compte, il n’y a pas d’excuse à continuer.
On réalise du coup, tel Œdipe après la révélation de son inceste commis avec l’alibi de son ignorance, de sa faute qui était à certains inconsciente envers le monde des autres êtres sensibles. Nous savons à présent que nous sommes coupables. Nul n’ignore à présent que les hommes sont d’ effroyables agents de souffrance pour le monde dont nous sommes membres, et renégats de surcroît, celui de « l’animal que donc je suis » comme le dit dans son titre le philosophe anti-corrida, Jacques Derrida.
Donc, comment un psy peut il parler de corrida, M. Chemama? Hé bien, en toute humilité, comme je le fais, en en montrant l'aspect absolument intolérable de retour du refoulé. La corrida est un objet de recherche pour un psy qui prend ça comme symptôme de la pathologie humaniste. Et ce, d'autant plus qu'on se revendique de son antonyme, la psychanalyse. Celle-ci nous apprend que ce n’est pas l’estime dans laquelle le bourreau tient sa victime qui fait de lui un barbare mais son acte.
Le bourreau peut bien se protéger de son réel par mille subterfuges, y compris par la dévalorisation de sa victime comme envers les animaux c'est la coutume des humains, le psy est là pour "démasquer le réel" comme le dit le titre d'un bel ouvrage de Serge Leclaire.
Et pour finir :
"Qu'on dise reste oublié derrière ce qui se dit dans ce qui s'entend."
L'ETOURDIT Jacques Lacan
Pourquoi en parlez-vous, Roland Chemama ? Avez-vous tant besoin, comme votre ami Wolff, de vous cacher pour user autant d'encre et vous réfugier croyant au sophisme comme ultime recours, derrière des gens célèbres et ô combien décevants qui se seraient déshonorés de leur présence dans ce club malsain dit taurin? Ainsi de H.Hey, de Camus...ils n'ont pour eux que le bénéfice de l'époque d'avant la révélation contemporaine de l'existence des animaux comme êtres de chair, de nerfs, de sang et de sensibilité et comme sujets de droit. Mais Hugo qui vécut avant, lui, on ne le leurrait pas qui parlait de la torture d'une conscience au sujet de celle du taureau. Zola non plus, lui qui ne fut pas non plus dupe du lynchage de Dreyfus. Mais n'est pas Juste qui veut!
Ainsi, avec ces noms prestigieux, vous avez voulu redorer votre blason? Hélas, vous n'avez fait que ternir le leur.
Tous les grands hommes ne sont pas grands en tout. Voilà ce que vous prouvez alors que vous voudriez qu'on se dise que si Hey aimait ça, alors c'est que Chemama est grand, comme tous ses amis du Club Taurin.
Malheur à l'humanité qui se laisse gouverner par ce que vous dites ne pas vouloir évoquer, Thanatos. L'écologie nous montre que nous en sommes peut- être au bout du vivant, à cause de ça dont la légalisation de fêtes sauvages du genre de la corrida sont des signes.
Peu d'espoir donc pour une espèce narcissique qui se croit tout permis, car à ce jeu de l'hors-loi qui produit la psychose, tout le monde le sait, c'est l'au delà du principe de plaisir qui gagne, la mort.
Il faut penser l'impensable, il faut déjouer ses pièges..il faut dire l'indicible. Tel est notre devoir, dévoiler le réel humain pour l'empêcher de tout détruire. Le devoir de mémoire, c'est bien. Celui de réfléchir à comment faire pour que plus jamais ça, c'est mieux.
Ma réponse:Il faut traquer la barbarie, cette jouissance indigne, où qu'elle se trouve, car la jouissance, ça en demande toujours "Encore"! ("Encore", séminaire de Lacan sur la jouissance...et l'amour.) Ce n'est pas une corrida qui peut nous empecher de faire le mal ailleurs, bien au contraire, elle attise le desir de faire souffrir.
Il n'y a catharsis que si il y a sublimation, donc aucune victime.