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Psychanalyse et animaux.

Le phénomène de la corrida.

27 Avril 2008, 23:19pm

Publié par Jo Benchetrit

Corridas

 

 

Le phénomène de la corrida en tant qu’incongruité de nos sociétés policées est à lui seul un analyseur de ce qui se passe dans le monde formaté par les  hommes.

Nous sommes là devant un symbole de ce qui s’y produit de proprement inacceptable mais rendu digeste par la magie des artifices humains. Car l’homme est un prestidigitateur de talent. Bien-sûr, il ne sait pas se déguiser en son support comme les caméléons. Il ne sait pas faire le mort avec la perfection de certains autres animaux et en particulier de presque tous les insectes. Mais en matière de tricheries, on ne peut pas dire qu’il soit le dernier.  A la différence d’avec les autres bêtes, l’homme cherche à se leurrer lui-même sur son compte, alors que les autres ont des capacités de mensonges à l’usage des possibles prédateurs ou concurrents. Ainsi, il est fréquent qu’un oiseau recueilli   et à peine soigné, mais encore en danger de mort puisse paraître en pleine forme car, pour se protéger de l'étranger qui le manipule et lui fait peur, il va faire des efforts « surhumains » pour voler joyeusement, avant d’aller se cacher pour mourir. Attitude inadaptée mais les oiseaux sont tellement persécutés par les hommes en général qu’ils gardent ce genre de vieux réflexes de méfiance.

Pourtant, l’idée est de  se protéger des autres, pas de se tromper soi-même. Il n'y a peut-être pas dans la nature   beaucoup d’animaux sots comme "la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le boeuf", et qui croit cela possible, comme dans la fable de La Fontaine.

Mais il existe une espèce au moins qui se fait beaucoup d’illusions à son propre sujet, l’homme. Pour éviter à la fois tout conflit  avec son surmoi, tout en continuant à se comporter comme un jeune enfant en se laissant dominer par son ça, le moi humain façonne un monde à son pied, ce qui signifie à ses pieds. Ses pieds sont si loin du regard qu’il ne les voit pas. Ou plus exactement n’en voit que ce que son regard avide de ne pas percevoir ce qui dérangerait cet équilibre moi-surmoi-ça qui permet d’être barbare en toute innocence (pas vu, pas pris, même pas par le sujet humain lui-même, et pour cause, puisque ce n’est pas lui, hélas, qui dirige sa vie et ses actes, mais son ça qui mène la danse macabre). En effet, nous avons bâti un Univers où l’homme ne se sent pas coupable de ce qu'il fait au reste des vivants sensibles qui sont pourtant bien plus nombreux. Ayant coupé son identification aux autres animaux  par un : je ne suis pas ça, moi, confondant la boue dont il est fait selon la Bible avec l’animalité dont il veut se dégager radicalement parce qu’il veut en profiter, le malheur animal est bien masqué, black-outé derrière les murs des usines à viande et à autres produits animaux. On ne sait pas assez que les abattoirs    ont produit les ancêtres des corridas, à savoir des jeux minables que faisaient les tueurs  pour quelques sous et qui consistaient à  sadiser un animal avant de l’occire, le tout  devant un public de badauds rigolards primaires, amateurs d’exécutions tant  d’hommes que d’animaux. Lorsque les abattoirs ont quitté les villes, les personnes qui se régalent de ce genre de lynchage ont pu bénéficier d’un passe-droit dans notre civilisation où en temps normal la barbarie est en général à la fois bien camouflée, mais omniprésente, exportant  la pratique des tueurs des abattoirs sur le sable des arènes, le tout sur des flonflons  espagnolisants avec des costumes d’opérette. La cruauté y est encore plus grande, car ce n’est plus un bourreau tueur mais plusieurs qui se relaient pour ritualiser quelque chose d’où l’homme ne sort pas grandi et que Sade aurait pu imaginer sauf qu’il  « n’était pas vraiment si voisin de sa propre  méchanceté »(Lacan).

 

Cela ne signifie pas pour autant que l’immonde cruauté ne soit pas, ici aussi, bien dissimulée.
L’homme a diverses façons de ne pas percevoir le réel. De plus,   c’est son sport favori de jouer avec lui comme un torero dans l’arène, à ne pas montrer la blessure du réel pour n’en laisser  paraître que des paillettes. 
Avec des mots, il en crée un sur mesure, qui lui évite tout conflit entre son ça, son moi et son surmoi.
Aussi, vous ne verrez jamais personne vous dire en y croyant vraiment qu’il est un barbare.
Questionnez si vous voulez vous en convaincre, un quelconque de ces tortionnaires d’animaux : un dompteur, un dresseur  d’ours, un amateur de combats de coqs, un aficionado, un chasseur, un chercheur sur animaux, un éleveur, un gaveur d’oie, liste non exhaustive, ou, et ça concerne chacun d’entre les hommes, last but not least, un simple mangeur de produits animaux. Pour ne pas rester dans le domaine strict de la relation des hommes aux bêtes, la vision peut aussi bien être obscurcie au sujet des bourreaux d’hommes. Un des meilleurs effaceurs de péchés,  quasi systématiquement utilisé ? L’animalisation de la victime.

 

 

Et ce que ça cache, l’animalisation, c’est la réduction d’un sujet humain à ce qu’on imagine être l’animal, selon l’idéologie dominante. c'est-à-dire à la manière de Descartes une machine, une chose, un meuble dit encore le code pénal, qui bouge par soi-même. Traiter un homme d’un nom d’oiseau,  c’est en fait au-delà la réification, de la « désubjectivisation » lui faire courir un risque énorme, celui de ne plus être sous le parapluie de la loi.

Ce qui n’empêche que les gens savent que les animaux soufrent, qu’ils ont des sentiments et il suffit d’avoir un chien, un chat pour en faire l’expérience de manière immédiate.



que les animaux ne se font donc plus voir en allant à l’abattoir, en triste troupeau allant vers la mort, alors que sauf dans les rares exceptions des sacrifices rituels de l’Aïd ou des cochons qui sont saignés, ainsi que poulets et lapins dans des petites fermes en vue de consommation individuelle, les corridas,ces mises à mort après tortures en pleine lumière semblent nous venir du fond des âges.

Du temps où la morale vacillante des romains qui ont ainsi exterminé presque tous les lions et autres félins d’Afrique, des gens pas moins évolués que les aficionados se délectaient des jeux de cirque.

A une époque où les hommes croient avoir mûri du point de vue savoir-vivre avec l’Autre, ce qui résume la morale, cette résistance de la tauromachie a un sens, celui de montrer que derrière les présomptions d’innocence, les hommes  et parfois pas des moindres, sont encore et malgré tout englués dans une aliénation au 1° surmoi, celui qui leur impose une exigence de Jouissance barbare. 

 

Elisabeth Roudinesco, aficionado, a écrit un livre : la part obscure de nous-même.

On aurait pu s’attendre de la part de quelqu'un qui, comme moi, et plus que moi vu qu’elle a une petite avance d’âge sur moi, a suivi l’enseignement de Lacan, à ce qu’elle ait compris que cette part d’ombre est à combattre et nous à combler.

Mais non, mme Roudinesco, au contraire, approuve cette part et , bien entendu au passage semble avoir conscience que ce n’est pas bien, mais quand même, comme toute position perverse, elle la laisse en action, dès lors qu’elle y trouve jouissance. Ainsi, elle dit savoir que la corrida est de ce côté-là, mais elle la défend. Voyez vous, c’est exactement comme ça que ce reconnaît la structure perverse, qui est beaucoup plus fréquente que l’on peut le croire. Lacan en est venu à dire que l’homme est un pervers sexuel. Non selement la psychanalyste Rouudinesco dit aimer la corrida mais encore elle va jusqu’à conseiller aux enfants d’y aller. De même qu’une autre qui se targue de connaître quelque chose aux pulsions, Catherine Clément, Elisabeth croit que la pulsion doit se satisfaire sur un animal, histoire de ne pas avoir à malmener un humain. Tout cela est bien entendu très contestable du point de vue moral et parfaitement à côté de la plaque du strict  point de vue de la théorie psychanalytique.

Permettez moi de lui répondre sur ce plan. Mais vous verrez que ce n’est pas éloigné de la morale car s’il existe une éthique de la psychanalyse , il se trouve qu’elle est absolument raccord avec cette morale objective à laquelle nous nous referons intuitivement pour juger que s’attaquer à un être qui est innocent, de surcroît  prisonnier d’une situation pour laquelle il n’est pour rien, que de plus il ne comprend pas ce qu’on lui veut ni comment sortir de cette situation terrifiante et atrocement douloureuse, est mal et d’autant plus mal que l’on va le torturer dès avant l’arène, et que le tout est au simple service du plaisir de gens qui explosent de joie dès qu’une arme a transpercé la peau hyper sensible des bovins. 

Je renvoie ER à ce que dit Lacan sur les pulsions, et à ce qu’en dit Freud. Les 2 s'accordent à dire que l’objet de la pulsion est en danger si on   se satisfait sans sublimation, sans changer de but, le but étant la destruction de l'objet.

Ainsi,  tuer un animal ou tuer un homme est le même but, la recherche de la possession jusqu’à destruction de l’objet vivant supposé porteur de l’objet a du désir dit objet petit a que le sujet veut récupérer du fait qu’il est perdu depuis la castration et la loi qui interdit l’inceste.. De plus, Lacan nous a enseigné que la jouissance n‘est jamais complète, que l’objet a est contourné, donc jamais retrouvé et que donc l’on ne peut jamais être satisfait. De plus, le surmoi (ici le 1°)est d’autant plus fort qu’on lui a obéi.

A l’inverse, l’art a pour mission de satisfaire la même pulsion mais en créant au lieu de détruire.

C’est pour cela que c’est une aberration de faire croire que la destruction est quelque chose de possiblement artistique.

Ainsi une corrida ne peut y prétendre.

Le titre du  séminaire "Encore" est le résumé du problème de la satisfaction pulsionnelle. la sagesse populaire l'a pressenti en disant ceci: Qui vole un oeuf vole un boeuf, qui a bu boira, l'appétit vient en mangeant.

D‘autre part, les pulsions étant sous la domination de la pulsion de mort(Lacan), il n’y pas de doute, il faut faire bien attention de ne jamais les laisser se satisfaire de manière destructrice.

 

Car mettre le doigt dans cette affaire, en dehors de toute considération morale, au lieu de mettre à l'abri, expose. Pour faire image, c’est l’effet drogue. Ce qui procure jouissance est quelque chose auquel on devient addicte.

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