La Conscience de Victor Hugo: l'oeil du surmoi de Caïn ne peut être fui:il est Caïn lui-même.
Poème "La Conscience" de Victor Hugo que vous lirez tout en bas: l’œil, métaphore du surmoi de Caïn le fratricide est aussi celui qui hante l'homme féroce et même "fréroce", celui qui jouit de sa cruauté envers ses frères, ses rivaux. Parfois envers des hommes, mais en permanence, partout, envers les frères animaux.
Il est question ici du douloureux conflit psychique entre le moi, le surmoi et le ça. Lorsqu'un meurtre est commis, la culpabilité mine le coupable, qu'il le sache ou pas, qu'il s'en défende efficacement ou pas, et cette faute va infléchir sa vie. Comme la tache du sang de sa victime, devenue indélébile sur les mains de Lady Macbeth témoigne du malaise après le mal pourtant voulu.
Caïn, fils d'Adam et Eve est un meurtrier. Il a tué son frère Abel. Mais cette vengeance fratricide le confronte à un sentiment terriblement désagréable: le remord.
Or, me direz-vous, ce sentiment de culpabilité est rare. Au final, l'angoisse sociale, la honte si on est vu la main dans le sac, jouissant de manière illicite, est bien plus fréquente. On agit mal aux yeux de la société, de l'Autre donc, et on est gêné d'être démasqué. C'est semble-t-il, absent chez le psychopathe.Si la culpabilité c'est de l'angoisse sociale, peut-on dire alors que le psychopathe n'est pas un être social? A-t-il tué en lui la société ou n'a t il pas de rapport avec l'Autre qui la représente?
Le pervers contrairement au psychopathe a pourtant notion de nuire, mais fait comme si ce n’était pas le cas, bien que ça exacerbe sa jouissance transgressive. Son surmoi est donc en accord avec son moi qui souffre de complaisance avec son ça au point de s'en faire l'instrument passif. Se sentir coupable vient en effet du surmoi. Mais pour Lacan, il y aurait 2 surmoi.
Un, le 1°, celui archaïque du pervers polymorphe, celui qui nous pousse à nuire et nous impose de nous nuire comme le font les addictions, c'est le surmoi qui dit "Jouis". C'est le surmoi des fous de Dieu, des nazis, des gastronomes qui font cuire vifs leurs victimes comme les homards, et tant d'autres victimes de la pulsion sadique-orale, celui des chercheurs sur animaux mais aussi sur hommes comme le fit le Dr.Mengele...
Et un second, celui qu'il nomme aussi le "nom du père". Celui-ci est l'agent de l'interdit de l'inceste, autant dire de l'interdit de la jouissance perverse des "canailles" comme il les appelle. Ces canailles se voient libres mais en fait sont inféodés à leur 1° surmoi.
Intéressant de noter que Mme E. Roudinesco qui avec justesse reconnaît le pervers comme se croyant à tort bon est en même temps aficionada des horreurs de la corrida. En toute bonne conscience, non?
La cohabitation chez le même individu du meilleur et du pire vient du fait que le refoulement ne fait pas son travail. En effet, la perversion polymorphe appartient normalement au passé et est refoulée, éradiquée, enterrée par le passage au stade civilisé après la castration des pulsions par le 2° surmoi, le nom du père.
Mais on sait qu'il n'en est rien. Que ce qui est refoulé, disons oublié de la petite enfance, cette malfaisante perversion quand elle est de retour plus tard, est en realité à peine masquée. "un vernis de civilisation prêt à craquer".Freud in malaise ds la civilisation. L'histoire est ponctuée de passage au stade barbare. Plus on nie l'inconscient et plus le refoulé fait retour.
La faute, comme une dette impayée, rend malade, même héritée, même ignorée du sujet. C'est ce que démontre l'analyse de l'Homme aux Rats (cf. Les 5 psychanalyses de Freud).
Comment paierons-nous notre dette envers les bêtes? En mourrons-nous? C'est tout le bien que les animaux devraient nous souhaiter. Sur ce, je vous invite à lire à voix mi-haute ce sublime texte de Victor Hugo.
Connu surtout pour ses derniers mots...Mais bien représentatif des mille subterfuges que l'homme crée pour fuir le conflit psychique que la conscience de sa culpabilité lui impose.
Remplacer les passants (« Et l'on crevait les yeux à quiconque passait ») par les animalistes (défenseurs des (autres) animaux) et vous verrez que les ennemis des bêtes savent bien ce qu'ils font en les marginalisant, les ridiculisant : éloigner l‘œil suppliant et angoissé des bêtes assassinées pour eux. éloigner le remord pour mieux en profiter.L'oeil de Caïn prouve sa capacité à être civilisé. mais je ne suis pas aussi optimiste pour ceux qui ne ressentent rien, après leurs méfaits. La société ne doit plus être complice. et c'est pourtant ce qu'elle est en banalisant le mal fait aux plus démunis, faibles devant la puissance destructrice des pulsions humaines, j'ai nommé, les animaux.
Le surmoi du nom du père et donc de la civilisation dit: je SUIS l'oeil de Caïn pour les monstres de la banalité de notre quotidien. POUR QUE LA BANALITE DEVOILE SON CÔTÉ INADMISSIBLE ET DONC SCANDALEUX.
LES JUSTES SAVAIENT ÇA SPONTANÉMENT. IL FAUT ETRE LES JUSTES DE LA PERSECUTION admise comme "NORMALE" DES ANIMAUX ou d'hommes, parfois assimilés aux animaux pour faire taire son 2°surmoi, c'est-à-dire sa conscience qui fait en permanence un bras de fer avec le 1° surmoi tyrannique, et pousse-au-jouir meurtrier.
Alors, quand vous aurez envers quelqu'un qui vous reproche quelque chose de grave le désir de le voir disparaitre,
sachez que c'est de vous qu'il s'agit,
enfin, de cette part civilisée qu'on nomme nom-du-père,
celui qui s'oppose au pire, l'oeil du bien qui poursuit à jamais Caïn.
N'est-ce pas le fruit interdit de cet arbre de la connaissance du bien et du mal qu'avaient mangé ses parents Adam et Eve? Savoir distinguer le bien du mal, savoir s'interdire le mal, c'est sortir du paradis où l'on ne fait pas le mal car il n'occasionne pas de jouissance; C'est entrer dans le cycle infernal de la transgression jouissive alternant avec la culpabilité qui entraine un "encore" du jouir pour oublier l'oeil de sa culpabilité. A partir delà, l'homme se soumet à la pulsion de mort. Remord puis jouissance pour oublier le remord(tombe de Caïn) etc. Tout drogué connaît ça, y compris le bouilimique, le tabagique etc.
Victor HUGO (1802-1885) (Recueil : La légende des siècles)
La conscience
Lorsque avec ses enfants vêtus de peaux de bêtes,
Echevelé, livide au milieu des tempêtes,
Caïn se fut enfui de devant Jéhovah,
Comme le soir tombait, l’homme sombre arriva
Au bas d’une montagne en une grande plaine ;
Sa femme fatiguée et ses fils hors d’haleine
Lui dirent : « Couchons-nous sur la terre, et dormons. »
Caïn, ne dormant pas, songeait au pied des monts.
Ayant levé la tête, au fond des cieux funèbres,
Il vit un oeil, tout grand ouvert dans les ténèbres,
Et qui le regardait dans l’ombre fixement.
« Je suis trop près », dit-il avec un tremblement.
Il réveilla ses fils dormant, sa femme lasse,
Et se remit à fuir sinistre dans l’espace.
Il marcha trente jours, il marcha trente nuits.
Il allait, muet, pâle et frémissant aux bruits,
Furtif, sans regarder derrière lui, sans trêve,
Sans repos, sans sommeil; il atteignit la grève
Des mers dans le pays qui fut depuis Assur.
« Arrêtons-nous, dit-il, car cet asile est sûr.
Restons-y. Nous avons du monde atteint les bornes. »
Et, comme il s’asseyait, il vit dans les cieux mornes
L’oeil à la même place au fond de l’horizon.
Alors il tressaillit en proie au noir frisson.
« Cachez-moi ! » cria-t-il; et, le doigt sur la bouche,
Tous ses fils regardaient trembler l’aïeul farouche.
Caïn dit à Jabel, père de ceux qui vont
Sous des tentes de poil dans le désert profond :
« Etends de ce côté la toile de la tente. »
Et l’on développa la muraille flottante ;
Et, quand on l’eut fixée avec des poids de plomb :
« Vous ne voyez plus rien ? » dit Tsilla, l’enfant blond,
La fille de ses Fils, douce comme l’aurore ;
Et Caïn répondit : « je vois cet oeil encore ! »
Jubal, père de ceux qui passent dans les bourgs
Soufflant dans des clairons et frappant des tambours,
Cria : « je saurai bien construire une barrière. »
Il fit un mur de bronze et mit Caïn derrière.
Et Caïn dit « Cet oeil me regarde toujours! »
Hénoch dit : « Il faut faire une enceinte de tours
Si terrible, que rien ne puisse approcher d’elle.
Bâtissons une ville avec sa citadelle,
Bâtissons une ville, et nous la fermerons. »
Alors Tubalcaïn, père des forgerons,
Construisit une ville énorme et surhumaine.
Pendant qu’il travaillait, ses frères, dans la plaine,
Chassaient les fils d’Enos et les enfants de Seth ;
Et l’on crevait les yeux à quiconque passait ;
Et, le soir, on lançait des flèches aux étoiles.
Le granit remplaça la tente aux murs de toiles,
On lia chaque bloc avec des noeuds de fer,
Et la ville semblait une ville d’enfer ;
L’ombre des tours faisait la nuit dans les campagnes ;
Ils donnèrent aux murs l’épaisseur des montagnes ;
Sur la porte on grava : « Défense à Dieu d’entrer. »
Quand ils eurent fini de clore et de murer,
On mit l’aïeul au centre en une tour de pierre ;
Et lui restait lugubre et hagard. « Ô mon père !
L’oeil a-t-il disparu ? » dit en tremblant Tsilla.
Et Caïn répondit : » Non, il est toujours là. »
Alors il dit: « je veux habiter sous la terre
Comme dans son sépulcre un homme solitaire ;
Rien ne me verra plus, je ne verrai plus rien. »
On fit donc une fosse, et Caïn dit « C’est bien ! »
Puis il descendit seul sous cette voûte sombre.
Quand il se fut assis sur sa chaise dans l’ombre
Et qu’on eut sur son front fermé le souterrain,
L’oeil était dans la tombe et regardait Caïn.
Victor Hugo