Psychanalyste ou aficionado: barrez la mention inutile. Ma lettre du jour à Roland Chemama.
En finir avec l'immonde...Mais sommes nous sur cette voie? N'allons nous pas vers un plus de canailles?
Notre milieu analytique n'en est pas à l'abri.
Je tiens avec Anne Lise Stern qui me l'avait concédé un jour, que la psychanalyse n'est pas compatible avec la corrida.
Confidence: j'ai quitté le cartel que je formais avec Jane Lafond (j'appris qu'elle l'était du fait d' etre niece de Casas) qui nous avait confié son goût pour cet innommable show. J'ai abandonné bien des choses devant cette tête de Méduse. Quant à Jane, elle a pleuré quand je lui ai montré ce visage-là, le sien, pétrifiant.
Je commente ici un texte de Roland Chemama, analyste et aficionado. Si c'est possible...
Il s'autorise à affirmer que notre motion pour faire interdire l'accès aux corridas à des jeunes de moins de 16 ans n'est pas fondée. Et il pense là le démontrer.
Monsieur,
J’ai déjà écrit sur votre position, comme sur le texte injurieux et effarant de mauvaise foi d’E.Roudinesco où elle assimilait la défense des animaux au fascisme!
Votre texte expose quelque chose de vous par écrit, mais du lieu du sachant. Vous vous posez là comme l'analyste qui sait. Ce qui est un pouvoir dont il ne faut pas abuser pour promouvoir sa jouissance, si on est dans l’éthique. Mes remarques en italiques.
Parmi les différents griefs qui sont actuellement adressés à la corrida, l'un d'entre eux, relayé par des " professionnels " de la santé mentale, consiste à invoquer le traumatisme que celle-ci causerait chez les enfants. La moindre expérience fait voir à quel point une telle allégation est mensongère, ou à tout le moins erronée.
Ce qui traumatise un enfant, ce n'est pas la violence en elle-même, mais l'impossibilité de lui donner un sens, dans les cas par exemple où il allume seul un téléviseur et voit des hommes s'entretuer de manière plus ou moins épouvantable.
Non, il n’y a pas d’absence de sens dans le temps T2 du traumatisme. Au contraire, c’est au moment du sens que le fait ou fantasme du T1 va opérer son pernicieux impact. Et ce moment est le temps T2.
Que des hommes se tuent entre eux ou tuent des animaux, cela ne change rien. Ce que l’enfant voit c’est l’agression (pour de vrai ou pour de faux. Il y a une différence évidente pour chacun, dont l’enfant disons à partir du moment où il peut dire ce qui est pour de vrai ou de faux, ) et l’autorisation ou la sanction qui va avec. Le discours qui approuve un fait violent pour de vrai sera traumatisme lorsque l’enfant saura que l’adulte l’a trompé et que ce n’est pas ça, l’éthique. Trop petit, il gobera, puis, il saura et là, ça peut faire mal.
En revanche n'importe quel enfant de la campagne jusqu'à une période très récente aurait pu témoigner de ce que la mise à mort des animaux est une composante importante de la vie, un événement ritualisé non quelconque, associé le plus souvent à un moment de fête.
OUI, et alors ? Jusque là, c’est vrai, l’espèce humaine fait la fête autour d’animaux suppliciés, comme dans les fêtes de fin d’année, par exemple , ou pendant des sacrifices rituels du style de l’Aïd. Est-ce pour autant que nous serions là devant le BIEN et le bon pour l’espèce?
Trouvez vous que notre espèce se porte bien ? Ne voyez vous pas avec Freud que notre espèce est pathologique ?
Vous vous accrochez à ce qui existe comme à un radeau. Que craignez vous ? Le progrès humain ? Daniel Widlocher parle dans "Freud et le problème du Changement" de la résistance au changement comme expression de la peur de la mort, du morcellement.
Ne voyez vous donc vraiment pas que tout ce blabla aficionado sur la mort ne peut exister que parce qu'il est émis du lieu du déni de la mort du spectateur ?
Seuls sont mortels à ses yeux les tortionnaires toreros et les animaux, protagonistes de la mise en acte perverse de son fantasme. Et son désir pervers, au fond, on le connaît, c’est que le matador soit comme l’arroseur arrosé, tué. Ce serait là, avouez le, la jouissance transgressive la plus poivrée possible, et se situerait au niveau de ce trou du séant auquel invite le collant qui suggère le cul de la « poupée » (Cabrel), non ? Car tout cela est terriblement sadique-anal, à défaut d’être analytique. N’est-ce pas ?
Aux arènes, ce que les enfants retiennent ne va pas dans le sens de la cruauté, mais au contraire de l'admiration pour le courage de l'homme et la bravoure de l'animal.
Ce qu’ils retiennent consciemment ou inconsciemment ? Pour faire plaisir aux adultes ou pour de vrai ? Le désir est désir de l'Autre.
Ce que les enfants retiennent dans tous les cas est ce que l’adulte s’autorise à faire à un être plus faible que lui. Faible ici signifie être mis en état de faiblesse par les circonstances qui ne lui laisse aucun chance de fuir.
Ce que montre l’adulte, c’est son incapacité à limiter sa satisfaction pulsionnelle à ce qui devrait et que dit Hippocrate : "primum, non nocere." C’est ça le principe civilisationnel que l’éducation devrait s’efforcer de faire intérioriser. Et non pas un renforcement de la déculpabilisation par ce grotesque gonflage narcissique que vous promouvez.
On est alors en droit de parler d'une sorte de catharsis,
Là, vous faites encore erreur. Il ne s’agit pas de théâtre avec du « pour de faux ». Qu’est-ce que la catharsis ? Ce terme médical est né au sujet de la tragédie grecque. C’est la possibilité thérapeutique pour le sujet de jouir de ce qui est interdit sans que cela n’ait de conséquence sur intégrité de l’Autre porteur de l’objet a imaginairement attribué à lui.
L’enfant n’est pas toujours un débile (sauf à l’avoir rendu tel ce que les tauromaniaques s’y essaient à vous lire). Une de choses qu'il doit bien délimiter c’est que le pour de vrai n’est pas du pour de faux. D’où l’intérêt du jeu pour les enfants.
Il y a autant de différence entre un fantasme et un acte, entre névrose et perversion, entre l’enfer des pulsions et le paradis de la sublimation, entre un meurtre pour de vrai et un meurtre dans un film qu’entre corrida et représentation d’une tragédie ; Il y a en effet tragédie. Mais tragédie agie, subie, donc crime. Ce n’est pas une fiction, mais un fait réel. Ce n’est pas un combat mais un lynchage.. Le terme de catharsis n’a donc pas lieu d’être.
Vous même y préférez cet argument abscond et, hélas, sans intérêt autre que de brouillage de piste une : « confrontation socialisée avec des questions qui concernent la mort et le risque, questions qui se posent de toutes façons à chacun, mais qui prennent ici une dignité particulière. » des questions qui prennent une dignité ? Qu’est-ce que ce truc ? J’attends une traduction. En tous cas, pour la dignité d’un lynchage, je demande à voir.
On croit rêver.
Mais justement, M. Chemama, rêvez-vous lorsque vous écrivez ces mots ? Mentez-vous
sciemment ? Et à qui, sinon à vous ?
Tout cela fait que nous nous opposons résolument à toute interdiction de la corrida aux enfants.
Vous l’avez dit. Vous avez engagé votre réputation. C’est courageux mais alors, bien imprudent. Comment voulez vous que l’on prenne au sérieux un tel analyste incapable de voir l’évidence et qui promeut sa jouissance transgressive ?
Question angoissée au psy : si je n’assiste pas à une mise à mort d’animal, je serais quoi ? Immortel ? Incapable de me représenter ma propre mort ? Mais qui l’est ? Vous ?
Faut il avoir dans son voisinage un serial killer pour être un homme complet ? Faut il avoir vécu la guerre pour se poser la question de la mort ? Faut il avoir vu des meurtres exposés de manière absolument obscène, et je pèse mes mots, pour s’initier à la vie humaine ?
Je crains surtout une l’humanité sans grand espoir de sortie de sa barbarie. Ce qui rejoint Freud dans ses textes sur la question de la guerre1915 ou dans Malaise 1929.
Quant aux risques, cette notion qui tient au cœur du spectateur de tortures que vous êtes, bien à l’abri sur le gradin, les combattants de la liberté des animaux ne manquent pas d'en prendre, et donc de courage et il en faut, tant les forces réactionnaires que nous affrontons sont puissantes.
Croyez que j’ai du fond de mon désespoir, une pointe d'espoir en l’homme. C’est sans doute ce que votre collègue en barbarie, Wolff, appellerait naïveté. L’espoir, c’est ce qui reste quand tout semble perdu. Souvenez vous de la boite de Pandore.
Je sais que la cure ne peut pas tout, surtout si le sujet est dans une position psychopathe. Cependant, sait-on jamais ? Il peut ne s’agir que de névrose de sujets embarqués là dans un moment d’égarement, ivres de trouver une société assez laxiste pour les laisser assouvir leurs fantasmes pervers les plus boueux et indignes.