"C'est un livre sur la honte d'être un homme." Olivier Cohen, l'éditeur français et ami de Safran Foer :http://tinyurl.com/2v75xcc
Je propose un voyage au bout de cette nuit de notre conscience qui fait de ce monde sous notre tyrannie une abomination: le champ infini de nos perversions qui se satisfont sans la limite de la loi morale sur des êtres à notre merci d’une maniere que l’imagination échoue à reconstruire. Il nous fallait quelqu’un comme Jonathan Safran Foer pour que le discours sur l’horrible catalogue des tortures infligées aux animaux puisse trouver son destinaire, vous-qui-n’en-voulez-rien-savoir.
Ce voyage est celui que je propose, au coeur de l’infiniment proche. je ne l’ai pas ecrit, il l’a fait.
Faut-il manger les animaux ? Jonathan Safran Foer, sa bonne chère est triste
18 octobre 2010 - Le Temps
Albertine Bourget
«Eating Animals», le dernier livre du jeune prodige américain, peut convertir quiconque au végétarisme. Voici pourquoi
Insupportable, ce Jonathan Safran Foer. Passe encore que, à 30 ans et des poussières, ce diplômé de Princeton ait publié deux romans traduits en des dizaines de langues, Tout est illuminé et Extrêmement fort et incroyablement près. Que son écriture divise la critique, qui le considère comme un génie absolu ou un snob prétentieux. Qu'il ait épousé une autre étoile montante de la littérature américaine, Nicole Krauss, et que le couple vive, where else, à Brooklyn. Mais que ce romancier décide de s'éloigner de la fiction pour se pencher sur le fait de manger de la viande, qu'il rassemble ses réflexions dans un ouvrage-réquisitoire contre l'élevage industriel, Eating Animals, et que ce livre soit un phénomène, qu'il ait converti au végétarisme des centaines de lecteurs, voilà qui dépasserait presque les bornes.
Les Américains aiment manger. Enormément. Ces dernières années, par le biais de films comme Food, Inc., ou de livres (The Omnivore's Dilemna1 ), des voix se sont élevées pour faire réfléchir la nation à ce qu'elle ingurgite, à la manière dont cette nourriture arrive sur la table et aux conséquences sur la santé et l'environnement.
Les Américains aiment aussi les récits de vie qui racontent comment l'auteur a soudain vu la lumière et changé sa vie. En témoignent les best-sellers récents Mange, Prie, Aime d'Elisabeth Gilbert ou L'Année où j'ai vécu selon la Bible de A. J. Jacobs. Condition sine qua non du succès: une bonne dose d'humour pour faire passer la pilule et le message.
L'humour est bien présent dans Eating Animals, paru l'année dernière en anglais et bientôt disponible en français sous le titre hélas réducteur «Faut-il manger des animaux»2. Après avoir évoqué l'attachement qu'il a pour son labrador, Safran Foer s'interroge sur ce qui nous empêche de croquer chiens et chats tout en avalant sans complexe des cochons si intelligents, ou des poussins. Comme l'on suit le cheminement de l'auteur, végétarien inconsistant depuis des années, dans sa volonté de se décider définitivement, l'ouvrage est éminemment personnel: il comprend nombre d'anecdotes sur son identité juive, les souvenirs liés aux repas de son enfance ou l'influence de la naissance de son fils dans son cheminement.
Mais Eating Animals est bien plus qu'un témoignage autobiographique. La quête personnelle sert de toile de fond à une enquête méthodique, son réquisitoire est soutenu par une avalanche de statistiques sur la manière dont les animaux sont transformés en chair à pâtée. «Je ne suis ni journaliste, ni historien, ni philosophe», rappelle Safran Foer. Il est pourtant un peu de tout cela: ce diplômé en philosophie a passé trois ans à se plonger dans des ouvrages spécialisés, à interviewer des chercheurs et à sillonner son pays, du Missouri à la Californie, pour rencontrer des éleveurs et visiter des abattoirs.
Le consommateur sait vaguement que les conditions d'élevage actuelles sont la plupart du temps déplorables. Sait-il qu'aux Etats-Unis, chaque employé doit abattre 2000 têtes de bétail par jour? Que 250 millions de poulets mâles nés de poules pondeuses sont passés à la poubelle chaque année aux Etats-Unis puisqu'ils ne servent à rien? Que poules et cochons sont bourrés d'antibiotiques pour survivre aux maladies engendrées par leurs conditions de détention? Que les becs des poulets sont tranchés à vif et les vaches dépecées vivantes? Etc., etc. De la déshumanisation de l'élevage à grande échelle, de la pollution qui en découle, du sadisme des employés comme système de défense pour supporter leur travail. De la cruauté, de la moralité, de l'animalité, l'auteur n'élude rien, sans jamais servir d'autre chose que les mots.
Ce livre tend un miroir inconfortable au lecteur, et son auteur espère que ce dernier ne détournera pas le regard. «La personne qui fait l'effort d'agir pour son rêve d'innocence doit-elle vraiment être vue avec commisération? Est-ce vraiment elle qui est dans le déni de réalité?» répond l'écrivain à ceux qui voient les végétariens comme d'irréalistes rêveurs. S'il ne fait pas mystère de ses propres conclusions, son ouvrage ne peut être résumé à un simple plaidoyer pour le végétarisme. Amateur d'un steak juteux et des tablées autour de la dinde de Thanksgiving, Safran Foer sait trop bien combien nous aimons le goût de la viande et à quel point ce que nous mangeons est constitutif de notre humanité, de notre histoire. Ce qu'il demande, c'est: quelles sont nos limites à l'obtention de ce plaisir? Moraliste, certes. Mais capable de laisser la parole à des éleveurs soucieux du bien-être des animaux qu'ils élèvent dans le but d'en faire de la viande, pour lesquels il éprouve respect et affection. Empathique, assurément.
La crédibilité littéraire de l'auteur renforce évidemment l'engouement envers le livre. Outre-Atlantique, l'écrivain a été invité à débattre par les reines du talk-show que sont Oprah Winfrey et Ellen DeGeneres. Dans un article pour le site d'information «The Huffington Post», l'actrice Natalie Portman, végétarienne depuis des années, a raconté comment le livre avait fait d'elle une vegan. Logiquement,
Olivier Cohen, l'éditeur français et ami de Safran Foer, n'a eu aucune hésitation à publier l'opus, qui s'inscrit totalement, selon lui, dans l'oeuvre déjà amorcée par l'écrivain, même s'il suppose que le lectorat «va probablement être surpris, d'autant que chez nous, il y a une vraie frontière entre la fiction, l'analyse et l'autobiographie.»
Eating Animals a déjà été vendu dans vingt-deux pays. Si les chiffres et les situations présentées se réfèrent aux Etats-Unis, quiconque lira l'ouvrage et vit dans un pays riche ne pourra que s'interroger sur son propre rapport aux animaux, à la nourriture et à ce qu'il est prêt à accepter ou pas. Et ne verra plus jamais son assiette de la même façon. «C'est un livre sur la honte d'être un homme», résume Olivier Cohen. Un livre émouvant et impitoyable. Décidément, ce Jonathan Safran Foer est insupportable.
1. The Omnivore's Dilemma: A Natural History of Four Meals, de Michael Pollan, paru en 2006 chez Penguin, non traduit en français.
2. Faut-il manger des animaux?, à paraître en janvier 2011 aux Editions de l'Olivier.
http://tinyurl.com/2v75xcc
Voici quelques autres articles sur le livre de Jonathan Safran Foer:
1. le magazine litteraire,
2.le Point
3.Le temps
Et j e passe sur des tas d'autres. Accueil etonnant pour un livre qui amene la revolution que je prone, du moins sur le plan des animaux qu'on mange..
A La télé:
Et ça aussi sur le jeudi végé de Gand
http://www.arte.tv/fr/Comprendre-le-monde/arte-journal/3621786.html
ARTE Journal - 4 janvier 2011
http://www.arte.tv/fr/3627082.html
Sur 20 mn:
http://www.magazine-litteraire.com/content/editorial/article?id=18089
Cette année, les éditions Gallimard souffleront leurs cent bougies. Le Magazine Littéraire reviendra, tout au long de ces mois, sur cette aventure intellectuelle et éditoriale qui constitue sans doute le cours le plus intérieur de notre littérature contemporaine. Pour autant, il ne faudrait pas que cet événement en éclipse un autre : les vingt ans des éditions de L’Olivier, portées par Olivier Cohen, qui a su construire une maison à son image. Or, justement, L’Olivier publie, en cette rentrée de janvier, un livre exemplaire de sa démarche : faire connaître de jeunes auteurs, sélectionner le meilleur de la littérature américaine, provoquer le débat.
Cet ouvrage est celui de Jonathan Safran Foer (1) : Faut-il manger les animaux ? Nous avons déjà souligné ici combien les écrivains disposent d’une bonne longueur d’avance - les philosophes restant des carnivores - sur la question des rapports entre l’humanité et l’animalité. La place de l’animal est à reconsidérer. Et, encore une fois, seule la littérature rend aux bêtes la parole qu’elles n’ont pas.
Jonathan Safran Foer a été l’élève de Joyce Carol Oates à Princeton. Il est déjà l’auteur de deux romans majeurs, Tout est illuminé et Extrêmement fort et incroyablement près . Dans son dernier ouvrage, il met tout le poids de son talent littéraire au service d’un vibrant plaidoyer contre l’élevage industriel et l’abattage des animaux. J’écris « plaidoyer », et déjà le mot se dérobe : car Safran Foer est plus dans la peau de Truman Capote que dans celle d’un avocat. Ce qu’il nous donne à lire et donc à voir n’est pas seulement juste : c’est, au sens propre, hallucinant. Bien sûr, l’actualité, avec la crise de la vache folle, ses destructions et ses bûchers d’animaux, a ouvert une large brèche dans les esprits ; mais il s’agit ici de bien davantage. Je ne suis pas sûr que, dans cet éditorial, il soit bienvenu de présenter des extraits de Faut-il manger les animaux ? et de s’appesantir sur les becs et les groins tranchés à vif, les yeux arrachés, les poux de mer... Vache, veau, porc, poisson, rien n’est épargné - c’est l’arche de Noé à l’envers. Pour ma part, je ne crois pas être sorti indemne de la lecture de cet essai. D’autant que les acteurs de ce massacre (ouvriers, bouchers, éleveurs, propriétaires...) ne sont pas sur le banc des accusés. Aucune moraline dans ces pages. Lorsqu’il doit tracer le portrait de l’un des tortionnaires, l’auteur écrit simplement : « Il parle fort et sans détour. Il est du genre à réveiller tout le temps les bébés qui dorment. » Tout est dit.
Si l’on s’attache à la question de l’industrialisation, on se souvient, comme l’a écrit Élisabeth de Fontenay, que ce sont les abattoirs de Chicago qui ont inspiré la division du travail à Henry Ford, antisémite notoire, adepte et ami d’Hitler. Voilà pourquoi Isaac Bashevis Singer, Elias Canetti et Vassili Grossman ont placé au coeur de leurs oeuvres « une interrogation pressante sur la manière pogromiste, nazie, qu’ont les hommes de traiter les bêtes ». Que nous apporte ce livre ? Bien plus qu’une défense et illustration du végétarisme. Un retour à ce que Blake appelait le « chant de l’innocence » de l’agneau par opposition à l’ordre terrible (fearful symmetry) du tigre. Dans une publication récente, Cécile Guilbert définissait ainsi ce champ trop souvent laissé en jachère : « L’innocence, cette contrée sans mémoire, d’où le mal est absent et qui n’a d’autre objet que la pure et indéfinie faculté d’être (2). » À ce souci, le romancier américain répond par une question : « La personne qui fait l’effort d’agir pour son innocence doit-elle vraiment être vue avec commisération ? » Son essai nous fera-t-il suffisamment honte pour que, comme le disait Kafka, le souvenir nous revienne ?
Joseph Macé-Scaron
Le point:
Le Point.fr - Publié le 05/01/2011
L'écrivain Safran Foer livre le récit des horreurs observées en trois ans d'enquête dans les élevages industriels et les abattoirs.
Les Américains aiment les animaux. Vivants (46 millions de chiens et 38 millions de chats domestiques, 170 millions de poissons en aquarium), en liberté dans la nature (voir le très beau Into the Wild de Sean Penn), mais aussi souvent pour les abattre. Morts et mangés chaque année : 35 millions de boeufs, 115 millions de porcs et 9 milliards de volailles.
Longtemps, Jonathan Safran Foer, 33 ans, écrivain mondialement célébré pour ses romans Tout est illuminé et Extrêmement fort et incroyablement près, n'a pas aimé les animaux et a mangé de la viande. Sans penser à ce que cela signifiait et à la façon dont un animal était réduit à un quantum de calories. Puis il a découvert que cela n'allait pas de soi, sous le coup de deux révélations personnelles : une grand-mère qui, mourant de faim, refusa de manger du porc ; un fils qu'il découvrit, ébahi, se jeter sur le sein maternel... Il s'est alors demandé : quel sens cela a-t-il aujourd'hui de manger des animaux ? Pour en tirer, aujourd'hui, non un pamphlet ou une polémique, mais un essai, au sens de Montaigne.
La nourriture lie entre eux les membres d'une famille et les générations, ce qu'on appelle une culture. Mais la viande ? Plus que toute autre nourriture, un aliment chargé de sens, "un mélange de terreur, de dignité, de gratitude, de vengeance, de joie, d'humiliation, de religion, d'histoire et, bien entendu, d'amour".
- Différence symbolique
La réflexion de Foer n'est pas radicale. Il ne considère pas que les animaux aient des droits sur les hommes, mais que l'homme a des devoirs envers eux. Non pas le devoir de ne pas les manger (il reconnaît le poids ancestral qui fait que, dans toutes les cultures, l'homme est un loup pour l'animal), mais de les traiter de façon digne à tous les stades qui précèdent l'ingestion de leur chair : reproduction, élevage, abattage. Il maintient la différence symbolique instaurée par toutes les religions : "Même si nous sommes comme eux, ils ne sont pas nous." Cela nous autorise-t-il à les tuer, à les faire souffrir, puis à les manger ? Depuis des millénaires, l'homme tue pour manger la chair des bêtes et considère qu'elles sont là pour ça. Vivre, c'est tuer, mais ne peut-on vraiment pas faire autrement ?
Ajoutant à l'interrogation d'un penseur du quotidien le style d'un grand écrivain, Foer livre ici le récit des invraisemblables horreurs observées en trois ans d'enquête dans les élevages industriels et les abattoirs. Après avoir lu son réquisitoire, mangeurs de viande, vous n'êtes pas obligés de plaider coupable. Mais, en mangeant du fried chicken au fast-food du coin, vous ne pourrez plus dire que vous ne saviez pas.
Faut-il manger les animaux ? de Jonathan Safran Foer. Traduit de l'anglais (États-Unis) par Gilles Berton et Raymond Clarinard (éditions de l'Olivier, 336 p., 22 euros).
http://tinyurl.com/255r8gw
Le temps:
Jonathan Safran Foer, sa bonne chère est triste
18 octobre 2010 - Le Temps
Albertine Bourget
«Eating Animals», le dernier livre du jeune prodige américain, peut convertir quiconque au végétarisme. Voici pourquoi
Insupportable, ce Jonathan Safran Foer. Passe encore que, à 30 ans et des poussières, ce diplômé de Princeton ait publié deux romans traduits en des dizaines de langues, Tout est illuminé et Extrêmement fort et incroyablement près. Que son écriture divise la critique, qui le considère comme un génie absolu ou un snob prétentieux. Qu'il ait épousé une autre étoile montante de la littérature américaine, Nicole Krauss, et que le couple vive, where else, à Brooklyn. Mais que ce romancier décide de s'éloigner de la fiction pour se pencher sur le fait de manger de la viande, qu'il rassemble ses réflexions dans un ouvrage-réquisitoire contre l'élevage industriel, Eating Animals, et que ce livre soit un phénomène, qu'il ait converti au végétarisme des centaines de lecteurs, voilà qui dépasserait presque les bornes.
Les Américains aiment manger. Enormément. Ces dernières années, par le biais de films comme Food, Inc., ou de livres (The Omnivore's Dilemna1 ), des voix se sont élevées pour faire réfléchir la nation à ce qu'elle ingurgite, à la manière dont cette nourriture arrive sur la table et aux conséquences sur la santé et l'environnement.
Les Américains aiment aussi les récits de vie qui racontent comment l'auteur a soudain vu la lumière et changé sa vie. En témoignent les best-sellers récents Mange, Prie, Aime d'Elisabeth Gilbert ou L'Année où j'ai vécu selon la Bible de A. J. Jacobs. Condition sine qua non du succès: une bonne dose d'humour pour faire passer la pilule et le message.
L'humour est bien présent dans Eating Animals, paru l'année dernière en anglais et bientôt disponible en français sous le titre hélas réducteur «Faut-il manger des animaux»2. Après avoir évoqué l'attachement qu'il a pour son labrador, Safran Foer s'interroge sur ce qui nous empêche de croquer chiens et chats tout en avalant sans complexe des cochons si intelligents, ou des poussins. Comme l'on suit le cheminement de l'auteur, végétarien inconsistant depuis des années, dans sa volonté de se décider définitivement, l'ouvrage est éminemment personnel: il comprend nombre d'anecdotes sur son identité juive, les souvenirs liés aux repas de son enfance ou l'influence de la naissance de son fils dans son cheminement.
Mais Eating Animals est bien plus qu'un témoignage autobiographique. La quête personnelle sert de toile de fond à une enquête méthodique, son réquisitoire est soutenu par une avalanche de statistiques sur la manière dont les animaux sont transformés en chair à pâtée. «Je ne suis ni journaliste, ni historien, ni philosophe», rappelle Safran Foer. Il est pourtant un peu de tout cela: ce diplômé en philosophie a passé trois ans à se plonger dans des ouvrages spécialisés, à interviewer des chercheurs et à sillonner son pays, du Missouri à la Californie, pour rencontrer des éleveurs et visiter des abattoirs.
Le consommateur sait vaguement que les conditions d'élevage actuelles sont la plupart du temps déplorables. Sait-il qu'aux Etats-Unis, chaque employé doit abattre 2000 têtes de bétail par jour? Que 250 millions de poulets mâles nés de poules pondeuses sont passés à la poubelle chaque année aux Etats-Unis puisqu'ils ne servent à rien? Que poules et cochons sont bourrés d'antibiotiques pour survivre aux maladies engendrées par leurs conditions de détention? Que les becs des poulets sont tranchés à vif et les vaches dépecées vivantes? Etc., etc. De la déshumanisation de l'élevage à grande échelle, de la pollution qui en découle, du sadisme des employés comme système de défense pour supporter leur travail. De la cruauté, de la moralité, de l'animalité, l'auteur n'élude rien, sans jamais servir d'autre chose que les mots.
Ce livre tend un miroir inconfortable au lecteur, et son auteur espère que ce dernier ne détournera pas le regard. «La personne qui fait l'effort d'agir pour son rêve d'innocence doit-elle vraiment être vue avec commisération? Est-ce vraiment elle qui est dans le déni de réalité?» répond l'écrivain à ceux qui voient les végétariens comme d'irréalistes rêveurs. S'il ne fait pas mystère de ses propres conclusions, son ouvrage ne peut être résumé à un simple plaidoyer pour le végétarisme. Amateur d'un steak juteux et des tablées autour de la dinde de Thanksgiving, Safran Foer sait trop bien combien nous aimons le goût de la viande et à quel point ce que nous mangeons est constitutif de notre humanité, de notre histoire. Ce qu'il demande, c'est: quelles sont nos limites à l'obtention de ce plaisir? Moraliste, certes. Mais capable de laisser la parole à des éleveurs soucieux du bien-être des animaux qu'ils élèvent dans le but d'en faire de la viande, pour lesquels il éprouve respect et affection. Empathique, assurément.
La crédibilité littéraire de l'auteur renforce évidemment l'engouement envers le livre. Outre-Atlantique, l'écrivain a été invité à débattre par les reines du talk-show que sont Oprah Winfrey et Ellen DeGeneres. Dans un article pour le site d'information «The Huffington Post», l'actrice Natalie Portman, végétarienne depuis des années, a raconté comment le livre avait fait d'elle une vegan. Logiquement,
Olivier Cohen, l'éditeur français et ami de Safran Foer, n'a eu aucune hésitation à publier l'opus, qui s'inscrit totalement, selon lui, dans l'œuvre déjà amorcée par l'écrivain, même s'il suppose que le lectorat «va probablement être surpris, d'autant que chez nous, il y a une vraie frontière entre la fiction, l'analyse et l'autobiographie.»
Eating Animals a déjà été vendu dans vingt-deux pays. Si les chiffres et les situations présentées se réfèrent aux Etats-Unis, quiconque lira l'ouvrage et vit dans un pays riche ne pourra que s'interroger sur son propre rapport aux animaux, à la nourriture et à ce qu'il est prêt à accepter – ou pas. Et ne verra plus jamais son assiette de la même façon. «C'est un livre sur la honte d'être un homme», résume Olivier Cohen. Un livre émouvant et impitoyable. Décidément, ce Jonathan Safran Foer est insupportable.
1. The Omnivore's Dilemma: A Natural History of Four Meals, de Michael Pollan, paru en 2006 chez Penguin, non traduit en français.
2. Faut-il manger des animaux?, à paraître en janvier 2011 aux Editions de l'Olivier.
http://tinyurl.com/2v75xcc
Encore Le Point:
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Le Point.fr - Publié le 05/01/2011
Propos recueillis par Michel Schneider
Dans "Faut-il manger les animaux ?", l'écrivain Safran Foer livre le récit des horreurs observées en trois ans d'enquête.
- Le Point : Pourquoi ce livre ?
Jonathan Safran Foer : J'écris toujours sur ce que je ressens, sur ce qui me soucie, sur le futur, plus que sur le passé. Sur mes peurs.
- Est-ce un essai ou une oeuvre de fiction ?
La fiction, l'imagination sont pour moi le meilleur moyen d'exprimer ce que je ressens, ce que je pense. C'est une fiction réelle, si vous voulez. Truman Capote parlait de "roman sans fiction" ; je définirai mon livre comme une fiction non romanesque.
- Y a-t-il des liens avec vos deux romans précédents (Tout est illuminé et Extrêmement fort et incroyablement près ) ?
On écrit toujours un seul et même livre, mais dans ce cas, l'imagination seule ne suffisait pas à exprimer ce que je voulais dire. Il y a bien de l'imagination dans ce livre, mais c'est celle des gens qui fabriquent la viande industriellement. J'ai mené dans le monde souterrain de l'élevage des animaux de boucherie et dans les abattoirs une enquête de trois ans. Si j'avais écrit un roman, on l'aurait pris pour un roman de science-fiction tant les gens qui organisent ce système déploient une imagination folle pour arriver à leurs fins. Très souvent, tandis que je me documentais par des ouvrages scientifiques ou des rapports officiels, je me suis interrompu en disant à ma femme : "Lis ! C'est absolument incroyable !" Dans un roman, on ne m'aurait pas cru.
- Vos conclusions ?
Je ne conclus pas, j'expose. Manger de la viande pollue la planète, contribue à la dégradation climatique et à l'extension de la faim tout en ruinant nos santés. La situation du poisson n'est pas moins préoccupante : les scientifiques disent que, si l'on continue la pêche comme aujourd'hui dans 240 ans, il n'y aura plus de poissons sur cette planète. Il y a eu un changement radical. Depuis des millénaires jusqu'à il y a une cinquantaine d'années, l'homme, pour élever des bêtes et manger leur chair, imitait la nature. L'invention de la nourriture carnée industrielle est fondée sur l'idée que la nature est un obstacle à la productivité. Il n'y a plus de fermiers, mais des managers, des usines d'élevage, d'abattage, de découpe et de conditionnement dont les responsables n'ont plus aucune notion de ce qu'est un animal. Ils n'ont qu'une pensée : comment gagner plus en dépensant moins, et s'ils pensent que des animaux malades leur feront gagner plus que des animaux sains, ils le font.
- Savez-vous qu'un poulet dans la nature vit dix ans et celui que vous mangez au McDonald's, 45 jours ? S'il vivait plus longtemps, ses pattes se casseraient sous son poids.
Sur tout cela, nous pouvons quelque chose.
- Vous parlez de cruauté...
Selon un rapport, une fois sur trois, un animal est abattu dans des conditions cruelles en infligeant une souffrance inutile. La cruauté n'est pas le fait de ceux dont le métier est d'abattre des animaux. Je crois plutôt qu'ils sont pris dans une situation impossible. Comme les fermiers, d'ailleurs, ils ont sans doute vécu avec des animaux, mais les conditions de l'abattage, la productivité font qu'ils doivent procéder le plus vite possible quelle que soit la souffrance infligée aux animaux. Ils sont aliénés au processus et aux produits. Ce qui me fait le plus plaisir, c'est que les réactions les plus favorables à mon livre sont venues de fermiers. Ils aiment les animaux et s'en tiennent aux techniques ancestrales. Les fermes industrielles n'ont qu'une idée : se débarrasser des agriculteurs.
- N'êtes-vous pas moralisateur, au-delà du constat du désastre environnemental annoncé ?
Je ne fais aucune recommandation. Mais l'aspect moral existe. La façon de traiter les animaux que nous mangeons dégrade notre être moral. Schopenhauer disait que l'homme est le moins animal parmi les animaux parce que le seul à tuer non pour manger mais pour tuer. Et le problème n'est pas seulement la viande, c'est le problème des animaux. Les bananes, les jeans, le lait de soja, le papier utilisé pour imprimer votre magazine, l'écran de votre ordinateur, partout il y a de l'animal dans ces objets. Il est difficile de ne pas penser à l'impact de nos consommations sur l'ensemble du règne animal. Je ne reprends pas les thèses extrêmes de certains mouvements végétariens qui effacent la barrière des espèces en considérant que les animaux sont des humains. Je m'inscris dans la tradition juive où "manger et raconter des histoires sont deux choses inséparables" et toute histoire a une visée ou une préoccupation morale.
- Que faire ?
C'est toute la chaîne qu'il faut changer : les modifications génétiques, les régimes alimentaires que l'on inflige aux animaux d'élevage, leur abattage. À chacun sa réponse et chacun peut faire le choix qui compromet le moins les valeurs et les objectifs qu'il s'assigne. Je ne dis pas qu'il est immoral de manger de la viande. Simplement, que chacun doit savoir ce qui se passe. Ma seule recommandation : ouvrez les yeux.
Avez-vous rencontré des menaces, des pressions ?
À peine quelques coups de fil anonymes, mais ce qui m'a indigné le plus, c'est justement l'absence de réaction de la part des élevages industriels et des grands groupes travaillant à la transformation de la viande en aliments. Comme s'il ne fallait pas répondre, comme si tout cela allait de soi, comme si seul le silence autour de leurs pratiques leur permettra de les continuer. Moins il y a de gens qui savent, plus ils vendent.
- N'êtes-vous pas idéaliste et utopiste ?
Mes amis et mes parents, tout le monde mange de la viande, il ne faut jamais demander aux individus de changer leur être ; mais leur comportement, oui, un peu. J'en appelle simplement à un autre mode de consommation. Nous avons d'autres sources de calories beaucoup plus riches pour certains légumes que la viande, beaucoup moins consommatrices d'énergie. Peut-être n'est-il pas nécessaire de manger autant de viande et de cette viande-là. On n'aura jamais des élevages parfaits, des abattoirs paradisiaques, mais on peut améliorer les choses. J'ai espoir dans les jeunes générations. Il y a de plus en plus de jeunes qui deviennent végétariens. Pour mon fils, ce sera beaucoup moins difficile de ne pas manger de viande que pour moi. Je peux tout à fait imaginer un monde dans lequel 25 ou 30 % des gens ne mangeront plus de viande. Il s'agit d'un processus à long terme. D'efforts à faire chacun pour soi : renoncer à manger tous les jours de la viande n'est pas y renoncer totalement et définitivement. Ce qu'il faut, c'est chasser de nos têtes l'idée que tout cela n'a aucune importance, aucune incidence ni sur nos santés ni sur l'environnement. De petits actes individuels cumulés peuvent changer le système.
- Est-ce que votre livre ne peut pas avoir des effets pervers ?
Si vous interdisez aux gens de manger de la viande, ce que je ne fais pas, cela peut entraîner une consommation accrue de la part de certains, tout comme l'interdiction du tabac a pu amener certains qui ne fumaient pas, ou plus, à reprendre. Mais c'est très minoritaire. Dans l'ensemble, des restrictions produisent une réduction de la consommation des produits qui intoxiquent le corps.
- Votre livre ne s'adresse-t-il pas aux plus riches, aux plus instruits ?
Il est vrai que les pauvres ne peuvent pas manger de la bonne viande élevée et abattue correctement, mais dans tous les menus de tous les restaurants, il y a des plats végétariens qui sont toujours beaucoup moins chers que la mauvaise viande et aussi riches en protéines.
- Et vous, quels choix faites-vous ?
Plus de viande, rarement des oeufs. Le plus difficile, ce sont les produits dérivés du lait, le fromage.
- Vous avez un chien. N'y a-t-il pas un brin de cruauté à garder un chien dans un appartement new-yorkais ?
J'ai écrit un chapitre pour recommander la meilleure façon de manger des chiens. Mais c'était de l'humour à la Swift. Je pense que vous avez raison : en général, les animaux domestiques ne sont plus tout à fait des animaux, mais enfin, on ne les élève pas pour les manger et on ne les tue pas en les gardant en appartement.
- Votre prochain livre ?
Ce ne sera pas un essai. Je préfère le roman. Il y a là une liberté beaucoup plus grande. C'est comme une drogue excitant les émotions. Nous avons tous besoin de drogues. C'est la mienne. Les essais donnent un autre type de plaisir, celui de la démonstration, de la conviction. Mon prochain livre parlera de l'Amérique aujourd'hui. Je suis très intéressé par les jeunes, les étudiants, et effrayé par la terrible solitude dans laquelle Facebook ou Twitter les plongent. Je montrerai le virtuel comme nouvelle réalité et ses effets dévastateurs sur la réalité psychique. Internet nous rend moins créatifs, moins heureux et plus seuls, enfermés de l'intérieur, alors que nous croyons être au monde. Nous devenons comme des fichiers, on nous ouvre, on nous ferme. On ne lit pas ce qu'il y a dedans, la terreur, la souffrance, la pensée, le mystère de l'autre.
- Savez-vous pourquoi Facebook est en bleu ?
Mark Zuckerberg souffre d'achromatisme et la seule couleur qu'il distingue est le bleu. Il y a quelque chose d'effrayant quand vous pensez que 500 millions de personnes écrivent tous les jours sur des pages bleues parce qu'un homme, quelque part, un jour, a souffert de cette affection. Mais après tout on peut aussi rêver du processus inverse : 500 millions de personnes par leurs petites décisions pourront faire bouger un système mondialement dominant, celui de l'agroalimentaire d'origine animale.
Faut-il manger les animaux ? de Jonathan Safran Foer. Traduit de l'anglais (États-Unis) par Gilles Berton et Raymond Clarinard (éditions de l'Olivier, 336 p., 22 euros).
http://tinyurl.com/2wgr8se
Le monde des livres:1)
LE MONDE DES LIVRES | 06.01.11 | 11h00
Adieu dinde, foie gras, saumon fumé ? Quelques jours seulement après les agapes de fin d'année, la lecture du dernier livre de Jonathan Safran Foer risque de provoquer des haut-le-coeur chez un certain nombre de lecteurs, y compris - et surtout - parmi ceux qui ne se sont jamais vraiment posé la question du végétarisme. Faut-il manger les animaux ? C'est à partir de cette question, simple en apparence et pourtant révolutionnaire, que l'écrivain américain s'est livré à un impressionnant travail d'enquête et de réflexion. Connu jusqu'ici pour deux romans qui avaient mis en évidence la force de son écriture et la vigueur de son imagination, ce jeune auteur (il a 33 ans) s'est attaqué, cette fois, à un sujet extra-littéraire, totalement dénué de poésie.
Son livre, cependant, n'est pas un essai classique. Bien qu'il ait amassé des quantités de données considérables, bien qu'il se soit rendu sur le terrain pour visiter des élevages (y compris de nuit, à l'insu des propriétaires), bien qu'il ait interrogé de nombreux acteurs du secteur aux Etats-Unis, Jonathan Safran Foer n'a pas écrit un livre de journaliste, pas plus qu'un traité scientifique. Et pas un livre de philosophe non plus, bien que les questions d'éthique y tiennent une place importante. Cet ouvrage "hybride", selon sa propre expression, est l'essai d'un écrivain non spécialiste, qui s'est senti concerné par un problème banal et très largement ignoré : avons-nous le droit de faire souffrir et mourir des êtres vivants pour notre plaisir collectif, alors que notre survie n'est pas en jeu ? Pouvons-nous sans "honte" supporter la cruauté, mais aussi les problèmes sanitaires qu'engendre une recherche de productivité (et donc de profit) frénétique ? L'intention de Foer n'est pas de convertir la terre entière au végétarisme (qu'il pratique lui-même) ni d'édicter des règles intangibles, mais d'attirer l'attention sur cette question. Avec ses moyens d'écrivain, sa subjectivité, ses imperfections, son pouvoir d'invention. Une attitude dont la juriste Marcela Iacub souligne l'intérêt, mais aussi les limites, reprochant à Foer de ne pas prendre la question morale suffisamment au sérieux.
D'abord, il y a les chiffres. Effarants. Certains placés en tête des différents chapitres : "Le secteur de l'élevage industriel participe au réchauffement planétaire pour 40 % de plus que l'ensemble des transports dans le monde." D'autres glissés à l'intérieur du texte : "En tout, le monde élève aujourd'hui 50 milliards de volailles" par an. Puis vient le commentaire : "Chaque année, on oblige 50 milliards d'oiseaux à vivre et mourir de cette façon-là." Cette "façon-là", il faudrait être sourd, aveugle ou habiter sur Mars pour ne pas en connaître au moins les grandes lignes : l'empilement d'animaux dans des espaces ridicules, le bricolage de leur code génétique à des fins de productivité, leur surconsommation de médicaments "non-thérapeuthiques" (c'est-à-dire administrés de manière entièrement préventive), la manière dont ils sont transportés, puis abattus comme s'ils n'étaient pas des êtres vivants, mais de vulgaires objets. "Les animaux sont traités juridiquement et socialement comme des marchandises", constate l'auteur. Tout le monde le sait. Tout le monde l'ignore.
D'où l'utilité d'un travail d'écrivain. Car au-delà des statistiques, très frappantes, c'est l'orchestration des faits qui donne au livre sa force de conviction et son originalité. L'auteur ne se contente pas d'aligner des chiffres, il les met en scène en les croisant avec sa propre histoire, son rapport au judaïsme, le fait d'être devenu père et son admiration pour sa grand-mère, cette femme qui, étant jeune, a erré dans l'Europe envahie par les nazis. Pour elle, écrit Safran Foer, la nourriture est "un mélange de terreur, de dignité, de gratitude, de vengeance, de joie, d'humiliation, de religion, d'histoire et, bien entendu, d'amour."
Dominé par l'emploi de la première personne, ce texte ne prétend pas faire autorité sur la question, mais seulement rendre visible et presque palpable le drame de la "chair torturée". Pour reprendre la formule du peintre Paul Klee, Foer ne peint pas la réalité, il cherche à la "rendre visible ".
"Je suis le lieu ouvert où s'entremêlent la raison et l'émotion." De passage à Paris pour quelques jours, l'écrivain new-yorkais ne se cache pas d'avoir voulu "convaincre" en rédigeant cet essai. Mais à sa manière, en visant seulement une forme d'efficacité. Ce qu'il voudrait, c'est que les gens s'alimentent "un peu différemment", suggère-t-il très sérieusement. Entendez : en ayant conscience de ce qu'ils mangent et en prenant leurs distances avec les excès de l'élevage industriel. Reste que, pour "convaincre" (et quelles que soient les paroles plus ou moins lénifiantes dont il use pour éviter de heurter ses lecteurs ou de les faire fuir par trop de radicalisme), il emploie les grands moyens.
D'abord, en plongeant au coeur des problèmes éthiques, qui font appel à la conscience du lecteur, à son sens des responsabilités. "Nous vivons une situation étrange, écrit-il dans son livre. Nous sommes pratiquement tous d'accord pour dire que la façon dont nous traitons les animaux et l'environnement est importante, et pourtant rares sont ceux parmi nous qui prêtent une grande attention à notre principale relation aux animaux et à l'environnement."
Ensuite en montrant de quelle manière, aux Etats-Unis (son champ d'investigation principal), la toute-puissance des forces économiques a réussi à créer des enclaves de non-droit, à l'intérieur desquelles les éleveurs peuvent bafouer en toute impunité les règles en vigueur. Le département de l'Agriculture, indique-t-il par exemple, "exclut les poulets de son interprétation des dispositions de la loi sur les méthodes d'abattage ". Enfin, en suscitant la peur : l'énumération des problèmes sanitaires engendrés par l'élevage industriel et ses conséquences sur la santé humaine ont de quoi faire froid dans le dos.
En bon romancier, Safran Foer sait faire surgir les images les plus saisissantes, solliciter les émotions de son lecteur, conduire une enquête comme un véritable récit. Pourquoi, dans ces conditions, n'avoir pas choisi la forme romanesque ? "Je n'aime pas les romans qui ont un objectif politique, explique-t-il. La fiction, dans ces cas-là, devient un moyen, alors qu'elle doit être une fin." Il est concentré, le regard malicieux derrière les lunettes d'écaille qui ne parviennent pas à le vieillir. "Sans compter que l'imagination à l'oeuvre dans ce livre n'est pas la mienne : c'est celle de l'industrie. Beaucoup des choses que je décris dépassent ce que j'aurais pu imaginer. Si je les avais incorporées dans un roman, personne ne m'aurait cru !"
De fait, la description des hangars ultra-sécurisés où perchent des milliers de volailles qui ne verront jamais la lumière du jour, celle du bain électrique qui les attend à leur arrivée dans les abattoirs, puis de la "soupe fécale" où sont plongés les poulets morts, celles des précautions que prennent les éleveurs pour se protéger des regards indiscrets, tout cela ferait bonne figure dans un livre de science-fiction - ou dans un roman d'horreur. Seulement c'est là, sous nos yeux, dans nos assiettes, jour après jour. S'il ne va pas jusqu'au bout des questions qu'il soulève, Safran Foer a au moins le grand mérite de faire en sorte que nous ne puissions plus être protégés par notre ignorance.
Raphaëlle Rérolle
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FAUT-IL MANGER LES ANIMAUX ? (EATING ANIMALS) de Jonathan Safran Foer. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Gilles Berton et Raymond Clarinard. L'Olivier, 360 p., 22 €.
http://tinyurl.com/2byzflr
Avec Julianne Moore, Dennis Quaid, Dennis Haysbert, plus
Elle est antiraciste, il est homo mais raciste comme tout le monde et ce choix de son mari, elle lui demande de s'en débarrasser, de se soigner comme tous le monde le lui aurait dit. Etre antiraciste n'est pas évident pour le mari homo et être anti homophobe n'est pas la réponse spontanée pour la femme non raciste.
Et même l‘amie dévouée se révèle une femme aussi limitée que les harpies qu’elle prétendait combattre pour défendre son amie, dès qu’elle a su que le jardinier noir avait écouté son amie, donc l‘avait approché de « trop » près pour son esprit imbécile.
Quant au personnage très positif, l'amoureux jardinier noir, il prefere passer à côté de son bonheur, de son amour pour cette femme tant la haine de sa communauté comme de celle des enfants blancs qui ont agressé sa fille lui en ont fait passer toute envie. Il ne sera donc pas l'amant de cette Lady Chatterley.
Au final, on pourrait dire, pour le joke, donc très serieusement, qu'aucun de ces personnages n'est ni tout blanc, ni tout noir...Mais victime de ses points aveugles, de ses lâchetés, et triomphe dans sa grandeur , parfois.
En chacun, les limites de sa réflexion sont celles de sa jouissance.
Désespérant. Mais évident: voir au delà des apparences, notre devoir, voir le semblable malgré les différences est le message.
Ils ont eu à subir le regard rejetant des "gens biens".
C'est celui de la haine et du desir de mort.
Etre mis au ban, en effet, c'est la mort sociale.
Quand vous voudrez voir ce regard de haine, pas dur: prenez une gamelle pour nourrir les chats du quartier, ou des graines pour les oiseaux.
Aussi, l’anti raciste comme l’antispéciste ont à souffrir de la même chose : la fermeture mentale de leurs semblables à tout ce qui n’est pas leur ego. Ce qui n’est pas ego n’est pas égal, selon leur vision étriquée et ce qui n’est pas égal …est inferieur..
Oui, l'homme est un être dangereux lorsqu'il est conventionnel.
C'est à dire quand il oublie de penser sans égal, pas lui-même, sans s'aimer plus que ça. Quand il oublie de s'oublier.
Ajouté par AlloCiné le 28 février 2003