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Psychanalyse et animaux.

Bel article sur les Inrocks, à la sortie du livre: "les animaux ont ils des droits?"

19 Juin 2013, 05:49am

Publié par Jo Benchetrit

 

 

http://www.lesinrocks.com/2013/06/18/actualite/les-animaux-doivent-ils-avoir-plus-de-droits-11402165/

 

Allez sur leur site, vous pourrez y lire d'autres textes interessants comme celui ci:

Les animaux doivent-ils avoir plus de droits?

"Babe, le cochon devenu berger" de Chris Noonan

Outragés, brisés, martyrisés, et peut-être enfin libérés : les animaux doivent devenir des sujets de droit au même titre que les humains, estiment de plus en plus de chercheurs.

Le succès commercial, en 2011, du livre de l’Américain Jonathan Safran Foer, Faut-il manger les animaux ?, est un indice parmi d’autres : quelque chose de neuf se joue dans le rapport que les humains entretiennent avec les bêtes. Comme si, avant même de les manger (ou pas), on les prenait en considération pour les observer, d’égal à égal. Par-delà l’activisme militant de plus en plus vif des mouvements végétariens et vegans (végétaliens), notamment aux Etats-Unis, le regard – social, sensible, affectif, politique – change de perspective dès lors que s’immisce dans l’espace public la question des droits des animaux : un enjeu philosophique se pose avec une acuité inédite à l’échelle de l’histoire humaine, particulièrement en Occident.

“L’animal nous regarde. Et penser commence là”

Alors que la pensée occidentale est globalement restée étrangère à certaines traditions de pensée plus favorables aux animaux, elle s’ouvre en ce début de XXIe siècle à de nouvelles manières de définir une sorte de contrat moral entre les humains et les bêtes. “L’animal nous regarde. Et penser commence là”, écrivait déjà Jacques Derrida dans L’animal que donc je suis, sorti en 2006.

>> A lire aussi : “Faut-il manger les animaux?”: entretien avec Jonathan Safran Foer

La publication d’un essai important sur le sujet, Les animaux aussi ont des droits, illustre et confirme ce début de retournement culturel : la frontière entre les humains et les animaux s’érode de plus en plus. Au nom de quoi, de quel argument, de quelle conscience ahurie, serait-on conduit à définir un continuum moral entre les humains et les bêtes ? C’est précisément à ces questions que répondent dans cet ouvrage l’éthologue Boris Cyrulnik et deux philosophes majeurs sur le sujet, Elisabeth de Fontenay, auteur du très remarqué Le Silence des bêtes (1998), et l’Australien Peter Singer, penseur séminal de la question animale.

Mouvement de libération animale

De passage à Paris fin mai, Peter Singer, âgé de 67 ans, sait qu’il reste assez mal connu en France, alors que dans les pays anglo-saxons ses travaux sont largement commentés, analysés, voire critiqués (parfois sévèrement : dans la presse américaine, Singer fut qualifié d’homme “le plus dangereux du monde” à cause de la radicalité de ses positions). Spécialisé en bioéthique, professeur à Princeton, le philosophe est considéré comme le penseur le plus radical des droits des animaux. Fondateur du Mouvement de libération animale, il a découvert et fait découvrir l’éthique animale dès le début des années 70, suite à la prise de conscience des dérives de l’élevage industriel. Dès 1975, il publie son livre majeur, Animal Liberation, construit autour d’une question obsessionnelle : pourquoi les humains ne devraient-ils pas tenir compte des intérêts des animaux ?

Une énigme qui le conduit aussi à lancer aux Nations unies, en 1993, le Projet grands singes (Great Ape Project) et la déclaration Equality Beyond Humanity, réclamant que “la communauté des égaux inclut tous les grands singes” : êtres humains, chimpanzés, gorilles et orangs-outans. Pour lui, la libération animale est “un concept plus radical que la défense animale” puisqu’elle “questionne directement l’autorisation qu’on s’octroie d’user de la vie d’autres êtres vivants pour satisfaire nos besoins propres d’une façon qui inflige douleur et souffrance”.

“Rien de ce que nous faisons aux animaux ne constitue un péché”

Sa position éthique n’est pas seulement indexée sur une quelconque réaction émotionnelle, doloriste et culpabilisatrice face à la souffrance animale : elle se revendique proprement philosophique, ancrée dans une tradition de pensée forte dans les pays anglosaxons, l’utilitarisme, dont le maître fondateur Jeremy Bentham, avec John Stuart Mill, posait déjà au XVIIIe siècle le problème du droit des animaux en ces termes : “La question n’est pas : peuvent-ils raisonner ? peuvent-ils parler ? mais peuvent-ils souffrir ?” Si cette question semble avoir été évacuée de la conscience occidentale, surtout en France, c’est d’après lui à cause de “la tradition kantienne et cartésienne”, de la tradition culinaire évidemment très riche en plats de viande, mais aussi en partie à cause de l’influence pernicieuse du catholicisme qui affirma longtemps que “rien de ce que nous faisons aux animaux ne constitue un péché”.

Pour Singer, cette tradition intellectuelle composite pose les fondements d’un humanisme pour qui “les animaux ne comptent pas”, au regard de la spécificité du genre (génie) humain. Or “on continue de mettre de l’emphase sur la dignité humaine, sur la spécificité humaine, sur la différence entre l’Homme et le reste du monde vivant”, regrette-t-il. Le cadre de référence utilitariste, censé rechercher le bien maximum pour un maximum d’individus, conduit au contraire Singer à rejeter toute idée d’appartenance à une espèce : c’est son combat contre le “spécisme” (la hiérarchie des espèces) qui le rend subversif pour beaucoup, voire dingue pour d’autres. “De mon point de vue, tout le monde devrait être antispéciste et rejeter en bloc l’idée que l’on puisse prêter moins d’importance à un animal au prétexte qu’il n’appartient pas à notre espèce, une idée qui me paraît totalement irrecevable sur le plan éthique”, affirme-t-il. Même s’il précise qu’il est “absurde de prétendre que nous devons traiter les animaux de la même manière que les humains”, il pose comme préalable à toute action que “lorsque les animaux souffrent, nous devons prêter la même considération à leur souffrance qu’à la nôtre”.

“Il n’y a pas deux éthiques, l’une humaine, l’autre animale : il y a éthique ou il n’y a pas éthique.”

Par-delà ses apories, critiquées par de nombreux penseurs dits humanistes encore attachés aux frontières distinctes entre les êtres vivants, l’antispécisme de Singer influence de nombreuses réflexions actuelles, aux Etats-Unis (Tom Regan, Gary Francione) mais aussi en France (Florence Burgat, Françoise Armengaud, Georges Chapouthier…), en en prolongeant beaucoup d’autres plus anciennes (Jacques Derrida, Hans Jonas…). Celle d’Elisabeth de Fontenay, en particulier, qui insiste sur ce point : “Il n’y a pas deux éthiques, l’une humaine, l’autre animale : il y a éthique ou il n’y a pas éthique.” Aujourd’hui, dit-elle, il faut “déconstruire cette métaphysique tant spiritualiste que matérialiste du ‘propre de l’homme’ qui a conduit à opérer une coupure entre l’homme et l’animal”. Contre cette “arrogance” du propre de l’homme, dans la lignée directe de Peter Singer, la philosophe défend un nouvel humanisme, “un humanisme de l’autre vivant et qui prend en charge l’humanité des animaux mêmes, attentif à la passivité, à la vulnérabilité des vies nues et plus ou moins muettes”.

C’est donc à une rupture avec le rationalisme essentialiste de la philosophie classique que nous invitent Singer, Fontenay et Cyrulnik, pour qui “le souci de l’autre doit inclure désormais les animaux dans la sphère morale”, comme une conséquence de nos récentes connaissances en éthologie et en primatologie. Même les pieuvres sont capables d’apprentissage et d’attachement, rappelle Cyrulnik ; sans parler des porcs, dont on sait désormais qu’ils ont une vie émotionnelle riche et des capacités cognitives très développées, égales ou supérieures aux chiens et aux grands singes.

A ces motifs éthiques, Peter Singer mêle aussi des considérations d’ordre écologique et médical.

“L’une des manières de résoudre ou de réduire la menace du changement climatique serait de cesser de manger de la viande, en particulier celle des ruminants ; cette industrie constitue selon la FAO (Food and Agriculture Organization – ndlr) l’une des plus grandes contributions au réchauffement climatique, plus que tout le secteur des transports, avance-t-il. Le même raisonnement s’applique pour résoudre le problème de la famine ; la production de viande est très gaspilleuse de terre arable, plus de 70 % des terres agricoles disponibles sont consacrées au seul élevage des animaux dans le monde : cesser de manger de la viande permettrait de libérer la terre pour nourrir des millions de personnes à travers le monde en céréales, fruits et légumes. Donc ceux qui s’intéressent d’abord aux problèmes de l’humanité devraient au moins être végétariens pour ces raisons-là, quand bien même ils ne sont pas militants de la libération animale.”

Il y aurait peut-être aussi, d’après lui, moins de cancers des voies digestives, du côlon, du rectum, du sein, vu l’incidence probable des graisses animales sur les organismes humains – une corrélation qui reste à prouver.

La réflexion de Singer peut tenir à l’écart, par sa radicalité, des lecteurs “kantiens” ou simplement gourmets, rétifs à ce changement de paradigme au nom de leurs habitudes culturelles, de leurs goûts gastronomiques ou de leur histoire sociale. Cette volonté de rupture absolue sépare d’ailleurs Peter Singer d’Elisabeth de Fontenay qui reproche au radicalisme animaliste “la non-prise en compte de certaines traditions immémorialement ancrées dans le devenir des hommes” : “celle de la tradition culinaire, notamment, qui tourmente exemplairement Jonathan Safran Foer dans Faut-il manger les animaux ? quand il se souvient des plats que lui faisait sa grand-mère”.

Pour autant, le décentrement auquel Singer nous invite ouvre de nouveaux horizons politiques et existentiels. On peut supposer que ces questions vont même s’élargir dans les années à venir, comme elles irriguent déjà l’espace intellectuel dans le monde occidental, qui fait désormais de l’animal un sujet comme les autres. Les lignes du grand partage entre les êtres vivants se déstabilisent ; les bêtes viennent perturber la notion de droit et obligent à repenser les seuils et les catégories morales de notre vieille tradition humaniste.

Jean-Marie Durand

Les animaux aussi ont des droits par Boris Cyrulnik, Elisabeth de Fontenay, Peter Singer, entretiens réalisés par Karine Lou Matignon, avec la collaboration de David Rosane (Seuil), 268 pages, 18 €

le 18 juin 2013 à 14h50
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