Ecrivez lui aussi: dgs@istres.fr
Monsieur le maire,
Je fais appel à vous en tant que chercheuse.
Mon projet? Ecrire un livre sur la barbarie de l'humain moyen.*
Ma question à vous qui avez encore programmé, me dit-on, la mort par torture de 24 taureaux dans vos arènes: pourquoi et comment le pouvez-vous?
Accepteriez-vous de m'aider par votre témoignage ? Car, pour le moment, si je peux expliquer très facilement du point de vue psychanalytique cette dérive qu'il faut bien appeler barbare, j'avoue être démunie pour comprendre de l'intérieur les différents acteurs de cette horriblement cruelle façon de tuer le temps. Quid de ce qu'on appelle curieusement je vous l'accorde quand on sait de quoi elle est capable, l"humanité" au sens de compassion ou "coeur intelligent" (Finkielkraut)?
Je vous remercie par avance de votre témoignage .
Salutations distinguées,
J.Benchetrit,
Psychologue clinicienne, psychanalyste.
Quelques images de ce qui est commandité par vous. Irregardable par moi et par la majorité des français, répulsion qu est tout à leur honneur mais n'efface pas la terrifiante cruauté cachée des autres lieux de torture comme le sont par exemple les labos, les élevages et abattoirs, sans oublier les terribles transports:
*Préalable: on ne peut faire de recherche psychanalytique scientifique sur l'immoralité et l'amoralité,
si on ne s'engage pas entièrement en tant que sujet responsable contre cette posture où la jouissance cruelle est reine.
C'est ce qu'indique Lacan en décrivant ainsi l'éthique aux analystes, mais au delà à tout le monde, comme le dit l’interdit de l’inceste : "On ne doit pas céder sur son désir ." C'est à dire, céder à son désir monstrueux en jouissant de manière illicite.
Le fameux tiers dont parlent les analystes, en place de père interdicteur de la jouissance des pulsions perverses polymorphes manque cruellement à beaucoup en certaines circonstances, tout en semblant en place chez les mêmes dans d'autres moments. Le psychanalyste ne doit pas rester neutre et bienveillant devant la jouissance perverse en acte. Celle en fantasme, inoffensive, est évidemment possible. C'est ce qui diffère le jouir névrosé du pervers.
La place de l'analyste est précisément celle de ce tiers dit nom-du-père. Ce n'est en rien le lieu de la permissivité que beaucoup croient. La neutralité bienveillante conseillée par Freud aux analystes pour permettre au patient d'associer tranquillement induit dans le public un malentendu. L'analyste n'est pas celui qui autorise tout et n'importe quoi, bien au contraire.
D'ailleurs, Freud nous a donne l'exemple de l'engagement en question dans un ouvrage comme Malaise, et dans bien d'autres dont la (terrifiante) "psychologie des foules", la psychanalyse étant en soi cette lutte, comme le développement de l'enfant ne s'opère que par la castration une à une des pulsions perverses; et le symptome signifie son ratage en quelque point où le sujet jouit de manière destructrice, donc interdite.
C'est ce que montre l'exemple habituel pour illustrer cette question, celui du "bon" père de famille SS qui, au retour de son "travail" au camp redevenait, du moins en apparence, "normal". Voilà de quoi intriguer.
Ma question: Comment se peut -il que les hommes, au XXI° siècle , soient non seulement aussi barbares qu'avant JC, mais le soient encore plus?
Ils ne revendiquent la sécurité que pour eux mais font subir aux autres espèces le régime de la terreur.
La corrida est la partie encore visible de l'iceberg de la monstruosité du désir humain lorsque celui-ci n'est pas limité par un tabou social suffisant.
Soit parce que la société l'autorise, comme c'est le cas pour la dite corrida ( tout en la reconnaissant paradoxalement comme inadmissible cruauté(art.521-1 du code penal)) mais aussi pour tout ce qui est fait aux animaux depuis l'animal-nourriture à l'animal loisir, en passant par l'animal de somme, ou de laboratoire. La société autorise aussi la violence envers d'autres hommes pendant les guerres. Il y a aussi le terroriste, à ne pas confondre avec le résistant qui ne s'attaque jamais aux innocents civils, celui qui tue juste pour créer un climat de terreur et en profiter ensuite en jouant le rôle de pompier, après celui de pyromane comme le font les fascistes de tout poil y compris ceux qui sont à l'extrême gauche au nom, laissez moi rire, de la morale. Or la morale dicte l'inverse: ne jamais cibler l'innocent, mais le sauver des griffes de ceux qui veulent l'assassiner.
Une foule tueuse n'est pas innocente. Une foule complice et incitatrice hurlant sa joie à chaque coup porté à l'innocent comme aux arènes, ou comme dans certains pays lors des odieux attentats du 11/9/01, est coupable.
La barbarie s'exprime parce que le frein interne de l'homme n'a pas pu intérioriser la morale. On parle alors d'amoralité, comme c'est le cas de psychopathes à la Magnotta. Mais le sens moral peut tomber parce qu'une idéologie fumeuse l'impose comme pour Merah ou Hitler.
On voit avec ces exemples que tout cela est imbriqué et que , fort heureusement, tous les hommes ne vont pas aux corridas, tous ne mangent pas de produits animaux, tous ne donnent à la recherche, donc au Telethon, au sidaction, à l'Arc, tous n'attaquent pas l'autre au nom d'une idéologie, mais tous, cas de figure à ne pas confondre, doivent se défendre et intervenir pour sauver des êtres en état de danger.
Pourtant hormis les cas pathologiques dommageables où la morale n'est en rien reconnue, l'homme moyen dit normal ignore de plus en plus que ce qu'il inflige dans l'ombre ou dans la lumière des arènes au nom des hommes est le pire qu'ait jamais connu le monde. L’immoralité du transgresseur et l’amoralité de celui pour qui l’autre n’existe pas en tant que sujet se cofondent alors.
Aucun animal sauvage (non pollué par le désir humain)n'est bestial, toute violence a une raison chez eux. Du coup, aucune bête ne fait subir autant de douleurs de manière aussi gratuite que la bête humaine.
Nous sommes entrés dans l'ère du mal absolu, avec le 20° siècle, celui envers les animaux ayant servi de modèle à celui envers les hommes, et réciproquement avec l'industrialisation des vivants. Les hommes du 21°siecle ne semble pas vouloir s'amender. Quand la pulsion de mort est si vénérée, je crois pouvoir dire que non seulement nous sommes une catastrophe pour le monde des vivants, mais que nous courons à la catastrophe pour l'humanité.
Il n'en reste pas moins que ceux qui ne mettent pas de frein entre leur jouir et leur respect pour leur sens moral, et qui ainsi ont pacifié leur conflit entre moi et surmoi tout autant que tout psychopathe, tout en restant pour certains assez conformes à la morale par ailleurs ont de quoi intriguer celui qui, à l’inverse ne trouve pas cette paix délétère, se sait aussi responsable de tout ce qui se passe dans le monde que les mélancoliques, et qui, spontanément , est du côté de victimes et jamais du côté des bourreaux.